Consommateur de drogue et alcoolique puis islamiste intégriste, Paris Match a enquêté sur le passé de l'assaillant de Nice. Un reportage publié sur Paris Match illustre tout sur la personnalité de Brahim Aouissaoui: sa vie, sa famille et même sa copine lycéenne de 17 ans qui s'habille à l'occidentale et qu'il promène fièrement à l'arrière de sa moto. Voici un extrait de l'article : Une demi-heure avant de pénétrer dans la basilique pour son djihad express, Brahim Aouissaoui, 21 ans, contacte par FaceTime l'un de ses deux frères aînés, Nassime, en Tunisie. Ce dernier nous raconte : « Il m'a montré les toilettes de la gare de Nice, où il venait de se laver et de se changer, en me disant : “Regarde ! C'est bien plus propre que nos douches en Tunisie !” Puis il est sorti de la gare en se filmant devant. » Brahim Aouissaoui raccroche. Par les petites rues, la basilique Notre-Dame-de-l'Assomption est à dix minutes de marche. La veille au soir, le mercredi 28 octobre, c'est sa mère, Gamra, qu'il a contactée. Son fils lui a expliqué qu'il était bien arrivé à Nice, qu'il n'avait pas encore trouvé d'endroit où dormir mais qu'elle ne devait pas s'inquiéter : « Je suis heureux d'être là ! Je me débrouillerai… J'ai rencontré un Tunisien dans un café qui m'a conseillé de me réfugier pour cette nuit dans la cage d'escalier d'un immeuble. » Gamra ne répond rien, elle lui cache son désarroi. En septembre, sans prévenir personne, son fils a quitté du jour au lendemain la maison familiale, à 6 kilomètres du centre de Sfax. Il n'a laissé qu'un message : « J'espère que vous supporterez mon absence. » Gamra s'est bien rendu compte que, depuis un peu plus d'un an, son fils avait changé. En mieux, pensait-elle. Il s'était enfin arrêté de fumer du hasch toute la journée, de fréquenter tous ces gens douteux, de boire avec eux quantité de bière et de vin. Il semblait avoir trouvé la foi. Gamra le trouvait très apaisé, ce fils cadet, dernier de dix enfants, trois garçons et sept filles, qui n'avait cessé de la tourmenter. A 13 ans, il avait décidé de quitter l'école pour travailler dans une oliveraie, mais n'y était resté que quelques mois : trop dur, trop mal payé. Il avait ensuite été embauché chez un réparateur de motocycles. Là encore, pas longtemps. Il ne supportait ni les horaires fixes ni la rigueur de son patron. Mais il versait son salaire à sa mère, l'équivalent de 90 euros. Son père, Mohamed, ancien veilleur de nuit dans une fabrique de marbre, touche une maigre allocation vieillesse. La famille Aouissaoui vit à Sfax depuis 2015, dans un quartier très pauvre. Seuls « équipements » collectifs : trois mosquées et un cimetière. La maison, située près d'un bidonville, semble encore en construction, comme inachevée. Dès qu'il pleut, la route en terre qui y mène devient impraticable. En 2018, Brahim Aouissaoui vend du carburant de contrebande, provenant de Libye et d'Algérie. Les autorités ferment les yeux sur ce trafic qui nourrit pas mal de familles. Il gagne bien sa vie, autour de 700 euros par mois, mais dilapide son argent dans ses addictions. Sa mère l'engueule. « Le jour où Dieu le voudra, lui répond-il, je serai sur le droit chemin. » Cette année-là, il est arrêté par la police à deux reprises. Une altercation banale, sur la plage, à cause d'une histoire de bière. Une agression plus sévère, au tournevis, envers un client qui s'est plaint de la qualité de son essence. Brahim Aouissaoui a une petite amie, une lycéenne de 17 ans qui s'habille à l'occidentale et qu'il promène fièrement à l'arrière de sa moto. Ahmed, son plus proche ami, témoigne de son changement radical d'attitude fin 2019. Six mois plus tard, en juillet 2020, à Sfax, les autorités tunisiennes démantèlent une cellule terroriste spécialisée dans l'envoi de jeunes égarés en Occident pour remplir leur part du djihad. Les spécialistes s'accordent pour dire que la Tunisie regorge de ce genre de filières de recrutement. « Bon nombre de ressortissants tunisiens combattent en Libye, mais aussi en Syrie et en Irak », nous explique Jean-Charles Brisard, président du Centre d'analyses du terrorisme. « A cette période, poursuit Ahmed, il restait souvent enfermé dans sa chambre. Il priait beaucoup en me montrant le Coran. “Mon guide, ma lumière” disait-il. Il était devenu jaloux lorsque sa copine s'adressait à leurs amis masculins. » Cependant, Ahmed ne voit là « rien d'alarmant », excepté cette barbe naissante que Brahim Aouissaoui s'évertue à laisser pousser sur son visage jusqu'alors imberbe. Il boit encore, « mais beaucoup moins », et fréquente une des trois mosquées du quartier, celle réputée proche des Frères musulmans. Sa vie ne s'égrène plus qu'entre prières, boulot et activités physiques.