En pleine pandémie, les trafiquants de drogue au Maghreb se révèlent être de redoutables gestionnaires de crise. Malgré le ralentissement de l'activité économique, les difficultés liées à l'acheminement et l'approvisionnement, les «narcos» redoublent de créativité en exploitant de nouveaux itinéraires, débouchés et escamotages. Cannabis, ecstasy, cocaïne, Tramadol*… Si le menu reste varié, la recette n'est plus la même. En moins d'un mois, au cours de cet automne 2020, plus d'une dizaine de tonnes de drogue ont été interceptées par les forces de l'ordre dans les pays du Maghreb. Depuis le gouvernorat de Ben Arous, dans la banlieue sud de Tunis, jusqu'à la wilaya (région) de Mostaganem dans l'ouest de l'Algérie, en passant par le large de Cabo Negro au nord du Maroc, les saisies de stupéfiants se sont multipliées ces dernières semaines. Les mesures de confinement et de fermeture des frontières prises par les autorités pour contenir la propagation du nouveau coronavirus ne semblent guère dissuader les narcotrafiquants. Malgré le contexte particulier de la crise pandémique qui met partout les déplacements sous haute surveillance, les organisations criminelles maghrébines n'abandonnent pas leurs trafics. Ils inventent des stratagèmes pour s'adapter aux nouveaux obstacles imposés à leur commerce illégal. D'ailleurs, dans un rapport de 45 pages intitulé «Conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le marché de la drogue», datant du début du mois de mai 2020, l'UNODC avait prévenu autorités et responsables concernés des nouveaux modes opératoires. «Il semble que les groupes de trafiquants adaptent leurs stratégies [...]. À long terme, les conséquences économiques de la pandémie ont le potentiel de conduire à une transformation durable et profonde des marchés de la drogue», prévient l'UNODC. Interrogé sur cette éventualité, Raouf Farrah, chercheur senior pour l'organisation Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GITOC) –un think tank international qui travaille sur le crime organisé et en particulier le trafic de drogues illicites–, estime que les changements de modus operandi sont déjà une réalité au Maghreb. Il en veut pour preuve les nouvelles méthodes utilisées par les groupes criminels de la région pour contourner les restrictions liées à la crise sanitaire et continuer à acheminer de la drogue sur le territoire européen. «Les réseaux de trafic maghrébins se sont déjà adaptés au contexte du Covid-19. Ils utilisent notamment les routes clandestines, transportent de plus petites quantités et restructurent les schémas de livraison au sein des pays récepteurs. Ces réseaux ont aussi privilégié les voies maritimes aux passages terrestres ou aériens au regard des restrictions qui vont avec la pandémie. In fine, la drogue arrive à destination mais le trajet dure plus longtemps qu'avant la crise sanitaire», décrypte l'expert algérien au micro de Sputnik. Pour Raouf Farrah, les importantes saisies que connaît le Maghreb, ces dernières semaines, montrent l'ampleur du phénomène et la vivacité du marché. «Chaque année, des tonnes de drogues sont interceptées dans les pays maghrébins –surtout au Maroc, dans une moindre mesure en Algérie et encore moins en Tunisie.