Moi Ragotin, je ne sens plus le besoin d'un intermédiaire pour vous parler, mes amis, et encore moins ce journaleux d'Ahmed qui use de son stratagème pour signer sous mes propos à moi, Ragotin de tous les ragots et maître de la virulence critique qui ôte à certains leur doucereux dodo, si bien que je les ai tous sur le dos. Hier, je descendais la rue Bab El-Alouj en direction de Bab-Souika, avec l'idée que les portes de Tunis n'ouvrent plus sur quelque chose de conséquent, à ma grande désolation et à celle de tous les amoureux de cette belle ville et de ses trésors séculaires. Soudain, je surprends à mes côtés un vieux monsieur qui semble n'avoir perdu de ses moyens que ce qui a trait à l'aspect extérieur, en raison donc d'une pauvreté caractérisée. Ce n'était pourtant pas de celle-ci qu'il se plaignait dans un semblant de baragouinage plus intelligible que de nombreux discours de nos illustres politiciens. -- Puisse Dieu nous en débarrasser ! Puisse-t-il en nettoyer notre ville et notre pays ! Ils ont sali la ville et infecté la patrie, comme des rats. Ils ont tout couvert de leur saleté. Dis-moi ! As-tu jamais vu Tunis aussi sale ? Moi, avec mes 85 ans, je puis être catégorique : JAMAIS. J'avoue que tout ragotin que je suis, je n'ai su de qui il parlait, même si je me faisais une petite idée, au fur et à mesure qu'il parlait. -- Le Couffin qu'on nous dit ! Vous croyez que c'est ça qui va nettoyer la ville ? Et puis, il y a des gens qui ont fait l'expérience chez nous, il y a quelques années ! Une association ou une organisation ou je ne sais quoi ! Qu'est-ce que ça a donné ?Et voilà qu'après ce qu'ils appellent une « révolution », ils nous sortent la politique du couffin : ça leur ressemble vraiment ; ils ne font que porter le couffin de leurs maîtres. Le pire, c'est qu'ils le font à nos dépens ! Alors là, j'ai fini par comprendre de qui il parlait. Je me suis pressé de prendre un détour au premier coin de rue et l'ai laissé développer sa harangue tout au long de son chemin, adressée à tous les vents. Non sans constater que les Tunisiens les plus démunis peuvent être des plus intelligents d'entre nous. Cependant, je me suis dit que pour certaines commodités qui me concernent directement, et étant donné l'attitude par trop grincheuse de certains responsables, il vaut mieux que je laisse le journaleux signer, à ma place, chaque billet que je vous produirai. Photo d'illustration