Mon ami Ragotin, que je n'ai plus besoin de vous présenter, s'en vint vers moi comme une trombe, le lendemain des déclarations dites « fracassantes » du Général Rachid Ammar sur une chaîne de télévision dont le statut est des plus laconiques, malgré le succès tonitruant de la plupart de ses émissions, notamment ce rendez-vous de « 9 heures du soir » qui eut la faveur du numéro 1 de l'armée tunisienne. Ragotin ne pouvait rater cette belle opportunité de ragoter, de radoter et même de ratifier ! -- Alors toi, qu'est-ce que tu penses des propos du Général ? -- Je ne sais pas trop ; à toi de me dire, répondis-je par commodité comme signifier ma prédisposition à écouter toutes ses élucubrations et ses affirmations, fussent-elles des plus fantaisistes. -- Je crois d'abord qu'il en a donné de ces belles claques à tous ceux qui sont « à bout », « and otherbad I ». Tout ça dans les règles de l'art et conformément à la belle morale « des enfants de famille », comme on dit chez nous. En l'écoutant, je n'ai pas manqué de comprendre que notre Tunisie d'aujourd'hui est tiraillée entre les rationnels et les déraisonnables. -- T n'es pas un peu trop sévère avec ceux que tu désignes on ne peut plus clairement sans les nommer ? -- Ne me dis pas que tu es assez naïf pour croire à la sincérité et l'honnêteté de ces politiques de quatre sous qui sont à la solde de forces ou d'intentions néfastes pour le pays ? Mais laissons-les de côtés, je crois qu'ils ne valent pas l'attention que certains leur accordent. Revenons plutôt au fond du propos… -- Parce qu'il y a un autre fond à toucher ? -- Il y a l'essentiel et je te le dis en bref ; le Général est en danger et l'Histoire le prouvera. Il n'est vraiment pas sorti de l'auberge malgré le scénario convenu pour sa sortie. Je crois même qu'il ne le sait que trop, qu'il n'a pas confiance et que c'est pour ça qu'il a choisi une émission de grande audience pour prendre le peuple tunisien à témoin et pour l'inciter à assumer sa responsabilité, essentielle pour la sécurité et pour le développement de la Tunisie. Cela est d'autant plus plausible qu'il y a dans ses propos des mots sous les mots, impliquant de façon à peine voilée « certaines gens », qu'il n'est pas difficile de reconnaître, dans un complot de destruction de l'Etat, de mise à bas du pays et de dénaturation de sa société. Je peux même t'assurer que quelque temps après son départ de l'armée et son retour à la vie civile, il pourra être acculé, pour les besoins de la cause, à faire de la politique, contrairement au choix qui a déterminé sa conduite dans l'armée. Ragotin interrompit brusquement son discours et s'en alla son chemin pour ne me laisser le temps d'aucune autre question. C'était sans doute sa manière de me signifier qu'il vaut mieux cogiter ses propos, aussi fous qu'ils me paraissent, plutôt que de me complaire dans une consommation passive des propos des autres, même quand ces propos versent dans le commérage et la rumeur. Je pris donc mon Candide dans la tête et m'en allai raisonner des effets et des causes qui font aussi énigmatique une telle guerre et aussi maléfiques pour le pays certaines attitudes des enfants de la patrie.