L'apostasie, le «takfir» c'est la censure et l'interdiction de la pensée au nom de l'Islam. Un détour par l'histoire du 20ème siècle, montre la longue liste de la censure des œuvres philosophiques, cinématographiques, littéraires au nom de l'Islam et des horreurs de l'obscurantisme. Cette pratique du «takfir», c'est donc la manière islamiste de formater les esprits ; elle touche à toutes les formes de création qui osent interroger des légitimités culturelles. Des intellectuels, des artistes et des écrivains ont été accusés suite à des «fatwas» de «takfir». Le châtiment généralement prononcé à leur encontre est la peine de mort. Parlant au nom de l'Islam, les «fouquaha» sont autoproclamés gardiens de l'Islam et, par conséquent, habilités à décider de la piété ou de l'impiété des croyants. Ces pratiques d'un autre âge débouchent certainement sur un étouffement de la liberté de création et, donc, sur une régression intellectuelle. Sur le long terme, la censure au nom de l'Islam dépossède l'homme du langage et de la création et empêche la constitution d'un discours culturel et d'une expression autres que ceux tolérés par les «fouqaha». Dans ce contexte, la prohibition par le projet de constitution des accusations d'apostasie et de l'incitation à la violence constitue une avancée considérable dans le sens de la libération des énergies créatrices. Néanmoins, elle appelle à mettre en mouvement une révolution culturelle et une transformation des esprits et des comportements. Et surtout à faire prévaloir la culture de la création qui serait par elle-même émancipation et, par voie de conséquence, sa promotion serait elle aussi, par elle-même, émancipatrice. Le contenu pratique de cette culture émancipatrice est une rupture avec l'opinion, le préjugé, la croyance, accès à l'esprit critique et à l'autonomie rationnelle- autant d'éléments formels qui assureraient un effet massif de libération et justifieraient la défense inconditionnelle du «tafkir» comme horizon indépassable de la culture. La condition de base pour que cette culture du «tafkir» devienne une réalité effectivement à l'œuvre dans touts les champs de la pensée, est la liberté d'expression pour tous les Tunisiens qui sont, à un titre ou à un autre, susceptibles d'y apporter leur contribution positive. Cette culture engage, par ailleurs, tous les hommes de culture, des intellectuels, des chercheurs en fonction de leurs aptitudes et de leurs aspirations, soit dans un domaine particulier, soit dans les domaines d'intérêt commun et de la vie publique. Mais, cette culture ne peut devenir durable que dans un contexte politique marqué par la prééminence de l'Etat de droit qui protège les libertés individuelles et collectives. Loin de constituer un mouvement progressif du moins au plus, la culture du «tafkir» reste un processus inachevé. Une variable qui évolue sur la base d'une confrontation antagonique entre les forces de conservation et les forces de changement. Cependant, les créateurs et les intellectuels peuvent toujours agir sur le cours des évènements, s'ils le veulent vraiment.