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Entre Cheikhs, Chèques . . . et Harlem Shake
La Culture en Tunisie :
Publié dans Le Temps le 06 - 03 - 2013

En cette période de construction où la Tunisie choisit son modèle de société, la prise de conscience et la vigilance sont plus que nécessaires pour aborder les questions cruciales. Et, dans le débat général, s'il semble que la question culturelle n'ait pas la place qu'elle mérite.
Elle occupe de fait et paradoxalement les premières loges, dans la mesure où le dogmatisme religieux qui se conjugue au populisme, risque de réhabiliter un projet conservateur, laissant craindre des régressions sociales.
UN PROJET A DEFINIR
Quelle Tunisie voulons-nous ? Un pays qui se protège de toute innovation au nom du refus de la « bidaa » (1) ou un pays qui valorise l'imagination, la pensée, le libre arbitre ? A ce titre, l'affirmation, non pas d'une simple ambition ou d'une utopie, mais d'un véritable objectif culturel sous la forme d'un programme mettant l'art, la culture et l'information au centre d'un idéal d'évolution sociale, d'éducation et d'émancipation collective, de souveraineté et de développement durable, s'avère plus que jamais nécessaire.
Être de gauche aujourd'hui, disait Gilles Deleuze, c'est avoir besoin que les gens rêvent, imaginent, en un mot, pensent. Peut-on, en effet, concevoir une rupture avec toutes les formes d'aliénation sans investir le champ des affects, de l'imaginaire et du symbolique ? La mise en œuvre d'un dessein sociétal, inscrit dans le mouvement de ce siècle, est tributaire de cette condition sine qua non, à savoir, la garantie de la libre circulation des idées.
La transformation de notre société ne pourra se faire qu'avec la prise de conscience que la culture constitue un enjeu politique majeur. Plus qu'une conscience, il nous faudrait une véritable foi afin de défendre ce projet de civilisation avec la conviction que la création artistique, l'action culturelle, l'éducation populaire mais aussi la production et la diffusion des savoirs et des connaissances, sont les bases mêmes de notre devenir.
Malheureusement, la culture est fréquemment assimilée à la dernière roue de la charrette. Elle est encore considérée, même par les hommes politiques les plus progressistes, comme un des éléments secondaires, subalternes, accessoires et le plus souvent décoratif. Dans le meilleur des cas, elle est le faire valoir de leur plan d'action. Or, la culture n'est pas juste un secteur d'activité parmi d'autres. Elle ne se limite pas à des productions d'objets et de biens ou à l'organisation de manifestations festives. Elle doit être considérée comme le socle de toute action publique dont elle est aussi le levier. C'est elle qui oriente le sens des choix sociétaux, c'est elle qui tisse le lien entre des domaines comme celui de l'éducation, du social, de l'économique et des médias, c'est elle qui mobilise les intervenants dans les composantes de la nation et, c'est par elle seule, que l'on peut aspirer à une véritable révolution citoyenne.
UNE GUERRE LARVEE
Le pouvoir a toujours eu deux projets culturels, l'un officiel et politiquement correct, l'autre bien dissimulé. La dictature nous a laissé en héritage un modèle culturel et artistique à l'image de son fonctionnement. Suspectant l'art et la culture, elle leur a déclaré une guerre larvée en développant des formes perverses de gouvernance qui ont efficacement réduit la vitalité des arts populaires à du folklore et l'impact des expressions artistiques à du divertissement. La marchandisation de l'art dans une vision consumériste a réussi à vider le projet culturel national de sa substance. Justifié par la dictature de l'audimat, ce système divertissant, débilitant et infantilisant n'était rien d'autre qu'un appareil de domestication des artistes et de domination des esprits. Aujourd'hui, pour dépasser les aliénations générées par des années de marginalisation, d'exclusion, de récupération, de dépendance, de clientélisme et toutes les formes de censures, les forces créatives doivent engager le combat aux côtés de toutes les forces vives de la société pour instaurer les conditions d'une politique culturelle indissociablement intégrée à toutes les dimensions de la vie nationale. L'effervescence dont les réseaux sociaux d'Internet se font l'écho depuis le 14 janvier, montre à quel point les expressions artistiques épousent de plus en plus les préoccupations citoyennes, investissent de nouveaux espaces avec en prime une libération des initiatives.
UNE HOSTILITE MANIFESTE
Aujourd'hui le complot contre les arts n'est plus dissimulé. On assiste à une offensive déclarée et sans précédent contre le milieu intellectuel et artistique. Il est évident que l'on cherche, comme toujours, à casser les solidarités au profit d'une fragmentation et d'une division mettant les intérêts en antagonisme. A cela, s'ajoute le procès instruit à l'encontre des artistes et de l'ensemble des opérateurs culturels, accusés d'élitisme et de transgression des valeurs sacrées de l'Islam. Considérés comme des suppôts de l'occident, leur effort de promouvoir un projet artistique endogène est dénié en l'absence de toute évaluation et de toute critique.
Parce qu'il contribue à lutter contre l'imposture conservatrice qui se prévaut du dogme érigé en vérité absolue pour étouffer toute contestation, parce qu'il s'autorise toutes sortes de questionnements et hypothèses, parce qu'il nous invite à l'étonnement, parce qu'il nous dérange et, en nous dérangeant, nous force à reconsidérer les particularités et les différences, à reconnaître la complexité, à accueillir la diversité et surtout à ne pas tomber dans les attitudes de repli, de crainte de l'autre, l'art est désormais dans le collimateur d'inquisiteurs qui ne disent pas leur nom.
Lors des regrettables évènements de l'exposition annuelle de la Abdellia (« Le Printemps des Arts »), le Ministre de la Culture a lui même défini en une phrase tout son programme politique. « L'art doit se contenter d'être beau » a-t-il asséné, insinuant par cette sentence que l'artiste doit se limiter à procurer du plaisir. Mais à qui et comment ? Selon cette mystification, l'artiste devrait, en se soumettant au goût de son public, se résigner à n'être qu'un sujet dévoué et docile, un caresseur dans le sens du poil, un flagorneur consensuel. Toute revendication de citoyenneté à travers des propositions artistiques visant à susciter un véritable débat constituerait, selon ce ministre, une menace pour la paix sociale. Ainsi, l'ordre moral autour de l'identité et ses avatars développe-t-il une vision passéiste du patrimoine, proposant le retour aux conservatismes de tous acabits, non sans risque de sclérose.
Force est de constater que la majorité des agressions et mesures de rétorsion musclées survenues depuis deux ans, visent à mettre au pas la culture, les artistes, les hommes de médias et les intellectuels. Depuis « l'affaire Persépolis » montée de toute pièce pour exacerber des tensions sociales à la veille des élections du 23 octobre 2011, jusqu'aux récentes profanations de mausolées qui visent les croyances populaires en passant par les sabotages de spectacles festivaliers, la mise en demeure de personnalités médiatiques, d'universitaires et la comparution d'artistes devant le juge d'instruction pour troubles à l'ordre public, c'est toute une stratégie qui est méthodiquement mise en œuvre pour museler, au nom du conformisme, les expressions jugées subversives. Discrédités et dénoncés par le pouvoir, mis à l'index sinon au pilori, trainés devant les tribunaux, les artistes et les intellectuels sont devenus les brebis galeuses que l'on peut injurier à loisir en prononçant impunément à leur encontre des menaces de mort. Boucs émissaires d'une situation dans laquelle on les instrumentalise, ils représentent un des maillons forts que les islamistes veulent briser.
UNE EXPRESSION DE L'INTELLIGENCE COLLECTIVE
Des manifestations comme celles du « persil de la liberté » ou les happening et flash-mob qui se déroulent à l'occasion de grèves et autres manifestations auraient été jugés incongrus il y a quelques années. On les aurait relégués, pour mieux s'en protéger, dans la case des expressions dites « d'avant garde » ou « maudites ». Or, la nouveauté, c'est que tout le monde (toutes catégories et générations confondues) perçoit, d'emblée, et de manière réceptive, l'impact des propositions formulées, même les plus inattendues. Le contexte leur donne du sens. La menace de la chape de plomb n'a eu pour effet que de réveiller les consciences en alertant une partie de l'opinion sur le fait que la culture est plus que jamais l'affaire de tous et qu'elle est surtout l'apanage de notre intelligence collective.
Face au marasme politique grandissant, la réponse vient encore une fois de la rue. Une expression des jeunes, empreinte de dérision, se répand comme une traînée de poudre à travers le pays, transmettant avec humour un message qui nargue les institutions. En très peu de temps, le phénomène « Harlem Shake » (2) est devenu un symbole de protestation et d'insubordination rappelant l'esprit frondeur où se mêlent le sarcasme et la douceur des bons vivants du mouvement « Taht Essour » (3) ainsi que la fierté des « Fellagahs » (4) et des « Amazigh » (5). A l'opposé de « la nouvelle forme de culture » dont se félicite Rached Ghannouchi, en évoquant les frasques des jeunesses salafistes, c'est une expression pacifique, joyeuse, débridée, spontanée et ludique qui fait un pied de nez aux promoteurs de la nouvelle dictature et qui s'inscrit dans la lignée des revendications de la jeunesse internationale.
UN MOTEUR DE TRANSFORMATION SOCIALE
Cependant la résistance ne peut se concevoir aujourd'hui sans la proposition d'une alternative structurée. Il s'agit donc de soumettre au débat l'élaboration d'un projet culturel global avec plusieurs ambitions fortes :
- Donner à l'art sa souveraineté pleine et entière pour qu'il nous aide à construire de nouveaux horizons et, pourquoi pas, inventer de nouveaux modèles spécifiques et adaptés.
- Garantir à l'expression artistique l'exercice de sa liberté et son indépendance.
- Convaincre que l'enjeu culturel concerne tout le monde et pas seulement les acteurs culturels.
- Concevoir les programmes d'apprentissage en accordant, à tous les niveaux de la formation, une place de choix aux arts et à la culture.
- Situer la démocratie culturelle, l'éducation populaire au cœur des avancées et des combats sociaux.
- Rétablir le lien essentiel entre la création et l'appropriation populaire des œuvres et des pratiques artistiques.
- Entretenir la vivacité des arts traditionnels en leur donnant une identité et un ancrage contemporains.
- Préserver les traces des expressions culturelles.
- Veiller à l'équilibre régional en matière de droit à la culture.
- Favoriser les conditions de viabilité des industries culturelles en structurant le marché et en garantissant la circulation des œuvres.
- Convaincre que le social ne peut être dissocié du culturel et qu'il faut cesser de les séparer ou même de les opposer dans les arbitrages budgétaires.
Ainsi entendue, la culture serait le moteur de la transformation sociale dans le respect des différences, de l'élévation du niveau de conscience populaire et dans la perspective d'une politique de développement humain contribuant à l'avènement de la démocratie.
H. B. A.
(Cinéaste)

(1) Bidaa : nouveauté choquante qui frôle l'hérésie.
(2) Harlem Shake : happening collectif incluant la danse frénétique et le déguisement.
(3) Taht Essour : mouvement littéraire libertaire qui a donné son nom à un café tunisois.
(4) Fellagah : maquisard pendant la lutte pour l'Indépendance de la Tunisie.
(5) Amazigh : appellation des berbères qui signifie homme libre.


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