Ons Jabeur battue au tournoi de Berlin en single, demeure l'espoir d'une finale en double    Haithem Chaâbani : la route tue plus de cent personnes par mois en Tunisie    Carrefour Tunisie lance le paiement mobile dans l'ensemble de ses magasins    Mehdi Ben Gharbia condamné à huit ans de prison pour infractions fiscales    Entrée en vigueur du cahier des charges relatif à la collecte des céréales : le délai prolongé de 3 ans    LG lance webOS Hub 3.0 : une nouvelle référence pour les plateformes Smart TV    Caravane Soumoud de retour à Tunis : accueil triomphal et appels à soutenir la résistance palestinienne    La justice contre Sonia Dahmani : autopsie d'un acharnement    WTA Berlin Quart de finale : Ons Jabeur s'incline face à Markéta Vondroušová    Tunisie : le taux de dépendance énergétique atteint 60% à fin avril 2025    Décès d'une élève suite à une piqûre de moustique : que s'est-il réellement passé?    CUPRA célèbre le lancement du Terramar en Tunisie : un SUV au caractère bien trempé, désormais disponible en deux versions    AMEN BANK, solidité et performance financières, réussit la certification MSI 20000    Plus de 7 millions de comptes de streaming compromis : Kaspersky alerte la Gen Z    15 ans de prison pour le nahdhaoui Sahbi Atig    Après le succès de sa grève, l'Organisation Tunisienne des Jeunes Médecins brandit la menace d'escalade    Météo en Tunisie : légère hausse des températures    Remerciements & Fark    Un drone "Heron" de l'entité sioniste abattu par les défenses aériennes iraniennes    Kairouan : une ambulance attaquée en pleine nuit avec un mortier    L'Iran nomme un nouveau chef du renseignement militaire    Le Hezbollah réaffirme son soutien à l'Iran    Joséphine Frantzen : rapprocher la Tunisie et les Pays-Bas, un engagement de chaque instant    Saïed : "Personne n'est au-dessus de la loi et la souveraineté nationale n'est pas négociable"    Grève générale dans le secteur agricole tunisien prévue le 25 juin : la fédération lance un avertissement    Mourir à vingt ans aux frontières de l'Europe : quand la solidarité est criminalisée    Médina de Tunis : des commerces sanctionnés pour non-respect des règles d'hygiène    Grève annulée à la CTN : un accord in extremis entre le ministère et le syndicat    Kaïs Saïed, Ons Jabeur, Ennahdha et Hizb Ettahrir…Les 5 infos de la journée    US Monastir : Faouzi Benzarti confirmé pour la saison prochaine    Mohamed Kouki nommé nouvel entraîneur du Club Sportif Sfaxien    Berlin Ons Jabeur en quarts de finale face à Markéta Vondroušová    Skylight Garage Studio : le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Festival Au Pays des Enfants à Tunis : une 2e édition exceptionnelle du 26 au 29 juin 2025 (programme)    WTA Berlin : Ons Jabeur en demi-finales en double et en quarts en simple    Les Tunisiens en Iran sont en sécurité, assure le ministère des Affaires étrangères    Découvrez l'heure et les chaînes de diffusion du quart de finale en double d'Ons Jabeur    Un hôpital touché en Israël et 47 blessés par des tirs iraniens, Netanyahu menace Khamenei    Le Palais de Justice de Tunis: Aux origines d'un monument et d'une institution    Caravane Al Soumoud 2.0 en préparation : Ghassen Henchiri annonce une suite à l'initiative    Kaïs Saïed : tout responsable qui ne s'engage pas dans ce moment décisif et historique n'est pas digne d'assumer ses fonctions    Skylight Garage Studio : Le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Salon international de la céramique contemporaine du 20 juin au 15 juillet 2025 à la médina de Tunis    Fête de la musique - L'orchestre fête la musique: Pôle musique et Opéra    Tunisie : Fin officielle de la sous-traitance dans le secteur public et dissolution d'Itissalia Services    Il y un an Khémais Khayati nous quittait : la liberté à hauteur d'homme    Ridha Lamouri: Le galeriste passionné    La Tunisie mobilise les soutiens en faveur de son candidat l'ambassadeur Sabri Bachtobji, à la tête de l'Organisation Internationale pour l'Interdiction des Armes Chimiques (OIAC)    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Entre Cheikhs, Chèques . . . et Harlem Shake
La Culture en Tunisie :
Publié dans Le Temps le 06 - 03 - 2013

En cette période de construction où la Tunisie choisit son modèle de société, la prise de conscience et la vigilance sont plus que nécessaires pour aborder les questions cruciales. Et, dans le débat général, s'il semble que la question culturelle n'ait pas la place qu'elle mérite.
Elle occupe de fait et paradoxalement les premières loges, dans la mesure où le dogmatisme religieux qui se conjugue au populisme, risque de réhabiliter un projet conservateur, laissant craindre des régressions sociales.
UN PROJET A DEFINIR
Quelle Tunisie voulons-nous ? Un pays qui se protège de toute innovation au nom du refus de la « bidaa » (1) ou un pays qui valorise l'imagination, la pensée, le libre arbitre ? A ce titre, l'affirmation, non pas d'une simple ambition ou d'une utopie, mais d'un véritable objectif culturel sous la forme d'un programme mettant l'art, la culture et l'information au centre d'un idéal d'évolution sociale, d'éducation et d'émancipation collective, de souveraineté et de développement durable, s'avère plus que jamais nécessaire.
Être de gauche aujourd'hui, disait Gilles Deleuze, c'est avoir besoin que les gens rêvent, imaginent, en un mot, pensent. Peut-on, en effet, concevoir une rupture avec toutes les formes d'aliénation sans investir le champ des affects, de l'imaginaire et du symbolique ? La mise en œuvre d'un dessein sociétal, inscrit dans le mouvement de ce siècle, est tributaire de cette condition sine qua non, à savoir, la garantie de la libre circulation des idées.
La transformation de notre société ne pourra se faire qu'avec la prise de conscience que la culture constitue un enjeu politique majeur. Plus qu'une conscience, il nous faudrait une véritable foi afin de défendre ce projet de civilisation avec la conviction que la création artistique, l'action culturelle, l'éducation populaire mais aussi la production et la diffusion des savoirs et des connaissances, sont les bases mêmes de notre devenir.
Malheureusement, la culture est fréquemment assimilée à la dernière roue de la charrette. Elle est encore considérée, même par les hommes politiques les plus progressistes, comme un des éléments secondaires, subalternes, accessoires et le plus souvent décoratif. Dans le meilleur des cas, elle est le faire valoir de leur plan d'action. Or, la culture n'est pas juste un secteur d'activité parmi d'autres. Elle ne se limite pas à des productions d'objets et de biens ou à l'organisation de manifestations festives. Elle doit être considérée comme le socle de toute action publique dont elle est aussi le levier. C'est elle qui oriente le sens des choix sociétaux, c'est elle qui tisse le lien entre des domaines comme celui de l'éducation, du social, de l'économique et des médias, c'est elle qui mobilise les intervenants dans les composantes de la nation et, c'est par elle seule, que l'on peut aspirer à une véritable révolution citoyenne.
UNE GUERRE LARVEE
Le pouvoir a toujours eu deux projets culturels, l'un officiel et politiquement correct, l'autre bien dissimulé. La dictature nous a laissé en héritage un modèle culturel et artistique à l'image de son fonctionnement. Suspectant l'art et la culture, elle leur a déclaré une guerre larvée en développant des formes perverses de gouvernance qui ont efficacement réduit la vitalité des arts populaires à du folklore et l'impact des expressions artistiques à du divertissement. La marchandisation de l'art dans une vision consumériste a réussi à vider le projet culturel national de sa substance. Justifié par la dictature de l'audimat, ce système divertissant, débilitant et infantilisant n'était rien d'autre qu'un appareil de domestication des artistes et de domination des esprits. Aujourd'hui, pour dépasser les aliénations générées par des années de marginalisation, d'exclusion, de récupération, de dépendance, de clientélisme et toutes les formes de censures, les forces créatives doivent engager le combat aux côtés de toutes les forces vives de la société pour instaurer les conditions d'une politique culturelle indissociablement intégrée à toutes les dimensions de la vie nationale. L'effervescence dont les réseaux sociaux d'Internet se font l'écho depuis le 14 janvier, montre à quel point les expressions artistiques épousent de plus en plus les préoccupations citoyennes, investissent de nouveaux espaces avec en prime une libération des initiatives.
UNE HOSTILITE MANIFESTE
Aujourd'hui le complot contre les arts n'est plus dissimulé. On assiste à une offensive déclarée et sans précédent contre le milieu intellectuel et artistique. Il est évident que l'on cherche, comme toujours, à casser les solidarités au profit d'une fragmentation et d'une division mettant les intérêts en antagonisme. A cela, s'ajoute le procès instruit à l'encontre des artistes et de l'ensemble des opérateurs culturels, accusés d'élitisme et de transgression des valeurs sacrées de l'Islam. Considérés comme des suppôts de l'occident, leur effort de promouvoir un projet artistique endogène est dénié en l'absence de toute évaluation et de toute critique.
Parce qu'il contribue à lutter contre l'imposture conservatrice qui se prévaut du dogme érigé en vérité absolue pour étouffer toute contestation, parce qu'il s'autorise toutes sortes de questionnements et hypothèses, parce qu'il nous invite à l'étonnement, parce qu'il nous dérange et, en nous dérangeant, nous force à reconsidérer les particularités et les différences, à reconnaître la complexité, à accueillir la diversité et surtout à ne pas tomber dans les attitudes de repli, de crainte de l'autre, l'art est désormais dans le collimateur d'inquisiteurs qui ne disent pas leur nom.
Lors des regrettables évènements de l'exposition annuelle de la Abdellia (« Le Printemps des Arts »), le Ministre de la Culture a lui même défini en une phrase tout son programme politique. « L'art doit se contenter d'être beau » a-t-il asséné, insinuant par cette sentence que l'artiste doit se limiter à procurer du plaisir. Mais à qui et comment ? Selon cette mystification, l'artiste devrait, en se soumettant au goût de son public, se résigner à n'être qu'un sujet dévoué et docile, un caresseur dans le sens du poil, un flagorneur consensuel. Toute revendication de citoyenneté à travers des propositions artistiques visant à susciter un véritable débat constituerait, selon ce ministre, une menace pour la paix sociale. Ainsi, l'ordre moral autour de l'identité et ses avatars développe-t-il une vision passéiste du patrimoine, proposant le retour aux conservatismes de tous acabits, non sans risque de sclérose.
Force est de constater que la majorité des agressions et mesures de rétorsion musclées survenues depuis deux ans, visent à mettre au pas la culture, les artistes, les hommes de médias et les intellectuels. Depuis « l'affaire Persépolis » montée de toute pièce pour exacerber des tensions sociales à la veille des élections du 23 octobre 2011, jusqu'aux récentes profanations de mausolées qui visent les croyances populaires en passant par les sabotages de spectacles festivaliers, la mise en demeure de personnalités médiatiques, d'universitaires et la comparution d'artistes devant le juge d'instruction pour troubles à l'ordre public, c'est toute une stratégie qui est méthodiquement mise en œuvre pour museler, au nom du conformisme, les expressions jugées subversives. Discrédités et dénoncés par le pouvoir, mis à l'index sinon au pilori, trainés devant les tribunaux, les artistes et les intellectuels sont devenus les brebis galeuses que l'on peut injurier à loisir en prononçant impunément à leur encontre des menaces de mort. Boucs émissaires d'une situation dans laquelle on les instrumentalise, ils représentent un des maillons forts que les islamistes veulent briser.
UNE EXPRESSION DE L'INTELLIGENCE COLLECTIVE
Des manifestations comme celles du « persil de la liberté » ou les happening et flash-mob qui se déroulent à l'occasion de grèves et autres manifestations auraient été jugés incongrus il y a quelques années. On les aurait relégués, pour mieux s'en protéger, dans la case des expressions dites « d'avant garde » ou « maudites ». Or, la nouveauté, c'est que tout le monde (toutes catégories et générations confondues) perçoit, d'emblée, et de manière réceptive, l'impact des propositions formulées, même les plus inattendues. Le contexte leur donne du sens. La menace de la chape de plomb n'a eu pour effet que de réveiller les consciences en alertant une partie de l'opinion sur le fait que la culture est plus que jamais l'affaire de tous et qu'elle est surtout l'apanage de notre intelligence collective.
Face au marasme politique grandissant, la réponse vient encore une fois de la rue. Une expression des jeunes, empreinte de dérision, se répand comme une traînée de poudre à travers le pays, transmettant avec humour un message qui nargue les institutions. En très peu de temps, le phénomène « Harlem Shake » (2) est devenu un symbole de protestation et d'insubordination rappelant l'esprit frondeur où se mêlent le sarcasme et la douceur des bons vivants du mouvement « Taht Essour » (3) ainsi que la fierté des « Fellagahs » (4) et des « Amazigh » (5). A l'opposé de « la nouvelle forme de culture » dont se félicite Rached Ghannouchi, en évoquant les frasques des jeunesses salafistes, c'est une expression pacifique, joyeuse, débridée, spontanée et ludique qui fait un pied de nez aux promoteurs de la nouvelle dictature et qui s'inscrit dans la lignée des revendications de la jeunesse internationale.
UN MOTEUR DE TRANSFORMATION SOCIALE
Cependant la résistance ne peut se concevoir aujourd'hui sans la proposition d'une alternative structurée. Il s'agit donc de soumettre au débat l'élaboration d'un projet culturel global avec plusieurs ambitions fortes :
- Donner à l'art sa souveraineté pleine et entière pour qu'il nous aide à construire de nouveaux horizons et, pourquoi pas, inventer de nouveaux modèles spécifiques et adaptés.
- Garantir à l'expression artistique l'exercice de sa liberté et son indépendance.
- Convaincre que l'enjeu culturel concerne tout le monde et pas seulement les acteurs culturels.
- Concevoir les programmes d'apprentissage en accordant, à tous les niveaux de la formation, une place de choix aux arts et à la culture.
- Situer la démocratie culturelle, l'éducation populaire au cœur des avancées et des combats sociaux.
- Rétablir le lien essentiel entre la création et l'appropriation populaire des œuvres et des pratiques artistiques.
- Entretenir la vivacité des arts traditionnels en leur donnant une identité et un ancrage contemporains.
- Préserver les traces des expressions culturelles.
- Veiller à l'équilibre régional en matière de droit à la culture.
- Favoriser les conditions de viabilité des industries culturelles en structurant le marché et en garantissant la circulation des œuvres.
- Convaincre que le social ne peut être dissocié du culturel et qu'il faut cesser de les séparer ou même de les opposer dans les arbitrages budgétaires.
Ainsi entendue, la culture serait le moteur de la transformation sociale dans le respect des différences, de l'élévation du niveau de conscience populaire et dans la perspective d'une politique de développement humain contribuant à l'avènement de la démocratie.
H. B. A.
(Cinéaste)

(1) Bidaa : nouveauté choquante qui frôle l'hérésie.
(2) Harlem Shake : happening collectif incluant la danse frénétique et le déguisement.
(3) Taht Essour : mouvement littéraire libertaire qui a donné son nom à un café tunisois.
(4) Fellagah : maquisard pendant la lutte pour l'Indépendance de la Tunisie.
(5) Amazigh : appellation des berbères qui signifie homme libre.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.