“Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver“, citation attribuée à Goebbels. Au lieu de revolver, les salafistes dégainent leurs sabres et leurs gourdins pour croiser le fer avec les artistes , les faire taire et censurer leur liberté d'expression. Les “enfants” incestueux du gouvernement provisoire, armés jusqu'aux dents de l'artillerie nihiliste et forts de la complaisance et de l'impunité que la clique gouvernementale leur consent, pour des ténébreuses raisons idéologiques et électorales, multiplient les exactions et les assauts contre les hommes et femmes de lettres et d'art et les penseurs libres. La pensée unique, taillée dans la pierre moyenâgeuse, formatée contre la culture en général et l'art en particulier, continue de sévir et de terroriser. A chaque “Ghazoua” (invasion), son lot de casse et d'appel au meurtre. Les artistes sous l'épée de Damoclès des Salafistes ! Après la mise en scène de mauvais goût du palais El Abdilya, Lotfi Bouchnak, Lotfi Abdelli et la Ligue tunisienne pour la Tolérance ont constaté, à leurs dépens, et surtout à leurs risques et périls, les dégâts causés par les escadrons de répression et les milices du “droit chemin”. Coincés entre les dogmes et les “fatwas”, les nouveaux “Khaouarejs” de l'ère moderne, en terrain conquis, mettent à profit la démission de l'appareil répressif de l'Etat, pour perpétrer leurs forfaits. Puiser dans les sources artistiques pour s'exprimer, penser d'une manière différente, interpeller les esprits par un discours alternatif, adresser des messages rebelles aux lieux communs et aux sentiers battus, tout autant de “délits majeurs” que seuls des “koffars” (renégats) commettent et revendiquent. Le retour de manivelle coule de source, cela va de soi. Même une manifestation, en principe fédératrice et exaltante, comme ” la Journée Internationale Al-Aqsa” et même un grand militant de la cause palestinienne comme Samir Kuntar n'ont pas suscité de sympathie aux yeux des salafistes qui, derrière le prisme déformant de leur immuable et hermétique doctrine, refusent toute forme de dialogue et toute idée de dialectique. L'art, dans toutes ses expressions, n'est qu'une invitation à la débauche, un subterfuge pour corrompre l'esprit et la foi. “Tout ce qui excessif est insignifiant” a martelé « l'animal politique » De Talleyrand. Et c'est le cas de le dire ! Les agresseurs salafistes : Des coupables toujours reconnus innocents En véritables pompiers de services, les ministres et autres hauts responsables rivalisent de prétextes et montent de toutes pièces les excuses les plus fantasques pour réduire les actes d'agression à la portion congrue sinon dédouaner les auteurs qui, nous dit-on, “ne sont pas tombés du ciel” mais “sont nos enfants qu'il faut comprendre“. Après tout, ils “sont des citoyens comme tous les tunisiens” et, à ce titre, “ont le droit de s'exprimer“. Beau et non moins myope discours. Apparemment, il n'y a aucun mal à discuter avec des barres de fer et des machettes plein les mains en guise d'arguments et d'éléments de contradiction. Un coup de massue, au propre comme au figuré, de belles bosses sur et sous le crane, ” حجج دامغة” (des arguments percutants), comme on dit en arabe ! D'aucuns ont relevé la malencontreuse coïncidence entre l'éruption guerrière des salafistes et les mauvaises passes du gouvernement. La simultanéité des deux situations donne non seulement le tournis mais notamment du grain à moudre aux détracteurs du gouvernement. Certains n'ont même pas manqué de désigner les salafistes comme le bras armé d'Ennahdha dont les têtes pensantes manipulent cette horde tonitruante et belliqueuse au gré du contexte national et de l'intérêt partisan. Pour preuve, et là surgit le paradoxe, les constituants nahdhaouis se démènent pour faire adopter un projet de loi pénalisant l'atteinte au sacré mais font la sourde oreille quand il s'agit d'incriminer le “takfir” (accusation d'apostasie ou excommunication pour les chrétiens selon le droit canon). Donc, là la messe est dite en entier. Il suffit qu'un barbu ou un apprenti cheikh accuse quelqu'un d'hérésie pour qu'il soit passible de représailles sinon bon pour la potence. Pour s'en défendre, il n'a que son courage et sa force. L'Etat s'en était déjà lavé les mains. Et pour cause ! De la répression policière au salafisme : Les Tunisien sont tombés de Charybde en Scylla ! La mouvance salafiste fait la loi, la pluie et le beau temps, à coups de pied, de main ou de rapière, avec la complicité en filigrane des gouvernants. En revanche, ceux-ci montent sitôt sur leurs grands chevaux et cassent les reins à quiconque est “coupable” de diffuser une photo osée, proférer une parole ou produire un texte ou une toile que les flics de la moralité jugent offensants. Nul n'est à l'abri d'un sournois procès d'intentions ni d'une interprétation surannée et outrancière de ses actes. N'importe qui est en mesure d'imputer quelques velléités blasphématoires à n'importe quel fait et geste. C'est le règne de l'arbitraire, de la justice populaire, individuelle ou collective, si ce n'est de l'ordre gouvernemental à deux vitesses et à géométrie variable. C'est le mécanisme de règlement de compte qui prévaut et non le règlement tout court. Fallait-il pour autant accepter de nouveau le couperet de la censure, faire profil bas devant ce terrorisme intellectuel rampant et retomber dans les bas fonds de l'autocensure dont le peuple tunisien a longtemps souffert et qui croit aujourd'hui en être déjà et irréversiblement dégagé ? Les tunisiens ne sont pas des mineurs à fliquer, à traquer et à soumettre à la tutelle des gardiens de la conscience et sous la coupe des guerriers de la sédition et du chaos. A première vue, nous ne sommes guère sortis encore de l'implacable auberge mauve. Les mêmes réflexes, les mêmes invectives, les mêmes méthodes, remis au goût du jour et à la nouvelle couleur au pouvoir. Les violences impunies des salafistes : jusqu'à quand ? N'est-il pas permis de penser qu'on œuvre à reproduire le système du RCD, à gérer la Tunisie comme un héritage familial et à classer les citoyens selon leur degré d'obédience à l'idéologie en place. On dirait presque : Le roi est mort, vive le roi ! A ce rythme, une autre forme de dictature, bien plus perfide, ne manquera pas de prendre le pas et de prendre en otage toute la société. A moins qu'un nouveau “Dégage”, bien plus rugissant, ne secoue la Tunisie profonde pour couper court à ce glissement obscurantiste, réconcilier le pays avec soi-même et le remettre ainsi sur sa naturelle voie, profondément séculière et tolérante, pavée de modération, d'ouverture et de brassage culturel. Un pays, le nôtre, fier de son ancrage arabo-musulman, qui n'a jamais souffert d'une crise d'identité ou d'un problème de référentiel ou de repères, qui a sa propre synthèse de l'héritage civilisationnel et son approche moderne et progressiste de l'Islam. Un pays, réformiste dans l'âme, à l'avant-garde et pionnier, du moins dans le monde arabo-musulman, par son vécu, son itinéraire et ses acquis. Pour revenir à la liberté d'expression, et en guise de conclusion, une interrogation s'impose d'elle-même : La Tunisie n'a-t-elle pas ratifié deux instruments de premier plan en la matière, à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, dont les dispositions pertinentes laissent aux gouvernements concernés la possibilité de limiter la liberté d'expression dans des situations ”à la fois restreintes et clairement définies“. Autrement dit, sous réserve de s'acquitter de certaines conditions autant drastiques que tangibles. Somme nous dans ce cas de figure ?!