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Roman feuilleton, Le mot pour le dire : Entretien d'outre-tombe
Publié dans Tunivisions le 31 - 01 - 2014


— Bonjour maman !
En soupirant, Soltane s'assit sur le bord de la tombe, le regard rivé sur l'épitaphe entamée par les intempéries :
Zohra ben Hania, épouse Ben Brima
Née le 18 juin 1923
Décédée le 17 décembre 2006
Qu'Allah l'accueille dans son Eden
Il se rappela alors qu'il avait encore oublié de ramener de la peinture noire et un pinceau pour repeindre le prénom, à peine visible, de la chère disparue. Il devait s'en acquitter le plus tôt possible pour faire plaisir à sa maman qui avait le tort d'aimer la bonne compagnie. Sans son prénom, elle aurait du mal d'aller souhaiter la bienvenue aux nouveaux venus, parmi les morts. Mais elle serait encore plus en peine d'entrer en contact avec les vivants. Que ferait-il, lui, sans elle, dans cette horrible jungle dans laquelle elle l'avait abandonné ? A qui irait-il rendre compte des terribles affaires du monde si sa bienveillante Zohra n'avait plus le moyen de le voir, et surtout de l'écouter ?
¾ Je te demande pardon maman, murmura-t-il, confus.
La tête baissée et les bras croisés sur le ventre, il attendit que sa maman se décidât. Jamais il n'oserait la regarder en face avant que son rire, devançant sa voix, ne lui eût dispensé son pardon.
¾ Je ne l'ai pas fait exprès, je le jure.
Un soupir oppressé vint corroborer cette émouvante confession, et ce fut probablement ce qui décida la vieille femme à parler enfin. Soltane crut l'entendre lui murmurer à l'oreille qu'il fallait bien plus qu'un dérisoire oubli pour qu'elle se fâchât contre son fils unique, la lumière de ses yeux ! La joie de Soltane fut telle qu'il ne put résister à l'envie de serrer sa chère vieille dans ses bras. Il se jeta sur elle et lui couvrit la pierre tombale de larmes et de baisers.
¾ Ce n'est pas de ma faute maman, les cons me font perdre la tête !
Il se tut un instant et ajouta, l'air radieux :
¾ Merci maman.
Au fond de lui, il savait que sa mère ne pourrait lui tenir rigueur pour si peu. Avant de rentrer, il irait acheter un pot de peinture et un pinceau chez Al-ajmi Bounjima. Il en profiterait pour lui rappeler qu'il lui devait toujours les trente dinars qu'il lui avait promis pour avoir bénéficié de ses lumières de comptable. S'il réussissait à se faire régler, il frapperait, sur son chemin, à la porte de Rzouga Al-mahil pour lui acheter six ou sept cannettes de…
¾ Pardon maman, dit-il, l'air penaud. Oui, c'est vrai maman, je t'ai bien promis d'arrêter de boire !
Il attendit, tremblant, le verdict de la vieille femme.
¾ Et je me mettrai à la prière, ajouta-t-il, l'œil humide, le plus tôt possible, je te le promets maman.
Il savait pertinemment qu'il ne pourrait jamais tenir sa promesse, mais son envie de plaire à sa vieille balaya ses scrupules et il se dit que mentir pour faire plaisir à une pauvre femme qui se morfondait dans sa tombe ne devrait pas être un si grave péché. Dans quelques jours, elle oublierait tout, et il pourrait persévérer dans son vice, la conscience tranquille, surtout qu'il était persuadé que sa vieille ne lui interdirait rien qui pût égayer ses jours grisâtres, elle qui n'arrêtait pas de lui répéter qu'il tardait à prendre femme, qu'il n'y a rien qu'une femme bien potelée pour faire passer les désagréments de l'existence. Pour le moment, seule la bière était à sa portée.
Mais comme la bénédiction maternelle tardait à venir, il insista :
¾ Je t'en supplie maman !
Au bout de deux minutes, succombant à une irrépressible angoisse, il éclata en sanglots et s'effondra dans les bras de sa vieille.
¾ Maman, ne m'abandonne pas, je t'en prie, croassa-t-il.
Mais en vain. Il réalisa alors, non sans effroi, chancelant sous le poids d'un désespoir écrasant, que la mort n'avait pas épargné sa pauvre mère. Il comprenait parfaitement que sa vieille eût changé depuis qu'elle gisait à deux mètres sous terre, mais il ne s'attendait pas à une pareille métamorphose. Il dut admettre, amer et accablé, que sa maman était devenue distante, insensible, plus dure en somme qu'elle ne l'eût jamais été avec lui. Autrefois, elle avait du mal à résister à ses cajoleries et ne pouvait s'empêcher de s'esclaffer au bout d'une caresse ou deux. De nouveau, il posa son regard sur le visage de sa vieille et fut ébranlé par le regard courroucé qu'il percevait nettement entre les lignes incertaines de l'épitaphe, tel un éclair dans un ciel brumeux.
¾ Je t'en supplie maman, reprit-il au bord de la crise des nerfs.
Comme la vieille résistait toujours, il se dit alors qu'il était temps de recourir aux grands moyens. Un coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'il disposait encore de plus de deux heures avant la tombée de la nuit. Il n'irait pas, en rentrant, chez Ferjani Hmaïdi, comme il le lui avait promis tout à l'heure. Sa comptabilité pourrait bien attendre un jour ou deux. Un taxiphone, converti en mini-supérette, n'est pas une si bonne affaire. Un jour, il serait obligé de révéler cette triste vérité à ce pauvre hère qui perdait son temps à rêver de tirer suffisamment de liasses de son commerce minable pour rouler en Mercédès, construire une somptueuse villa et y loger Naïma, sa future femme, étudiante en informatique. En attendant, lui Soltane, n'osait pas exiger d'être payé. Il devait se contenter du café, rarement de la cannette de Coca, que Ferjani lui offrait à chacun de ses passages chez lui.
— Oui maman, je me laisse arnaquer, dit-il en guise de préambule.
Aucune réponse. Il ajouta alors, en reprenant sa place sur le bord de la tombe, pour être bien vu d'elle, qu'il était difficile, pour quelqu'un de si bien élevé comme lui, d'échapper à tous les traquenards. Les malfrats s'étaient multipliés à un tel rythme qu'il finit par croire que les gens bien n'étaient plus de ce monde. Comparé aux requins voraces qu'il servait, de temps à autre, impressionné par leurs costards cossus et leurs bagnoles de luxe, Ferjani n'était rien de plus qu'un fétu. Lui, il ne manquait jamais de lui offrir le sempiternel café filtre, alors que ces vauriens bien mis ne mettaient jamais leurs mains à la poche. Les plus gentils se contentaient de lui dire qu'il serait payé la fois prochaine. De retour chez eux, ils lui servaient la même promesse. Puis, plus rien, plus de fois prochaine du tout.
— Oui maman, tu m'as bien mis en garde, s'écria-t-il, l'air radieux, tout content que la morte se soit enfin dégagée de sa curieuse léthargie.
A partir de ce moment-là, il n'eut plus besoin de regarder sa montre. Il quitterait sa mère quand il lui aurait tout déballé. Absolument tout. De toutes les façons, elle ne le lâcherait pas avant qu'il ne lui eût tout dit. Il allait continuer sur sa lancée et se donner à cœur joie en vilipendant les minables qui profitaient de sa misère, thème dont raffolait la morte, quand il se rappela la promesse qu'il avait faite à Hlima, sa campagne de bureau, de se renseigner, auprès de la chère défunte, sur le sort de son cousin, un jeunot d'à peine dix-huit ans, mort dernièrement en martyr à Damas.
La requête de sa partenaire de bureau était, bien entendu, absurde, car il n'était pas sûr que sa vieille ait pu avoir des nouvelles de cet écervelé qui était allé se trucider si loin ! Mais Soltane n'eut pas la force de décevoir sa collègue, et la mère éplorée du défunt qui comptait, elle aussi, sur ses étroites relations avec l'au-delà.
— Les martyrs ne font pas partie de notre cercle, entendit-il dire la vieille femme.
Il ne comprit rien à son propos et attendit qu'elle lui fournît un peu plus de précisions. Au bout d'un moment, il se permit d'insister :
— Je m'excuse maman, mais…
La réponse de sa vieille le sidéra. Les martyrs, l'interrompit-elle vivement, passaient directement au paradis, alors que les faux, et il existait des pelles, étaient précipités en enfer. En tout cas, c'était ce que feu madame Ben Brima aurait retenu de ce que se disaient les plus anciens parmi ses compagnons de cimetière. Jamais, de mémoire de mort, ils ne se rappelaient avoir eu affaire à un martyr dans leur monde.
— Je dirais quoi à Hlima, moi ?! s'écria Soltane d'une voix plaintive.
— Répète-lui ce que je viens te dire.
Quand sa vieille mère se permettait de le gronder de la sorte, cela voudrait dire, le plus souvent, que Soltane venait de commettre une grosse bourde.
— Oui, oui, c'est ce que je ferai mère, balbutia-t-il, confus, en évitant de la regarder dans les yeux.
— Jure-le moi sur ma tête, exigea la mère de sa voix sévère d'antan ; cette terrible voix qui le faisait frissonner.
— Je le jure.
— Mets ta main sur ma tête, insista la vieille femme.
Soltane s'exécuta, l'air penaud. Voilà qu'il se faisait prendre, encore une fois, par la vigilance maternelle. Il se consola cependant en se promettant, le moment venu, de dire à Hlima, et, par son intermédiaire, à la pauvre mère qui se morfondait, que Salem (ou Slim peut-être) se la coulait douce à l'éden en compangie d'une myriade de houris. Ce jour-là, sa mère ne serait pas à ses côtés pour le contredire. Ce mensonge ferait plaisir à bien du monde et il jurerait, autant de fois que l'exigerait sa maman, qu'il n'avait pas ajouté un seul mot au message qu'elle lui avait recommandé de transmettre à sa collègue. Soltane comprenait bien cette manie, chez sa vieille mère, de tenir tant à ces belles idées d'antan qu'elle ne s'était pas lassée de lui inculquer sa vie durant. « Il ne faut jamais mentir aux autres », Soltane en convenait bien sûr, mais depuis que sa mère était partie, il s'était passé de drôles de choses dans le patelin !
— Il y a autre chose ? s'enquit sa mère, alarmée par son silence.
— Heu…, non non maman, marmotta-t-il en reculant de deux pas dans l'espoir de se mettre à l'abri de son regard inquisiteur.
— Soltane, ne me raconte pas des histoires, insista la vieille femme.
C'était ce que sa vieille lui disait chaque fois qu'elle le surprenait en flagrant délit de mensonge. Il perdrait vainement son temps à jurer qu'il ne lui avait rien caché, sa mère n'en démordrait pas.
— Tu veux peut-être me demander des nouvelles d'un autre martyr ?
Nom de Dieu ! Comment avait-elle fait pour percer son secret ? La perspicacité de la chère défunte lui coupa le souffle. Pourtant, il s'était placé bien loin de son regard fureteur qui, jusqu'au dernier souffle, ne perdit rien de son éclat. Soltane en était venu à penser qu'il survivrait à la vieille. Il était clair que sa mère, qui s'inquiétait beaucoup pour lui, voulait l'avoir constamment à l'œil. C'est de cette façon qu'elle entendait continuer de veiller sur lui et de lui éviter les dérapages qu'elle lui avait épargnés de son vivant.
— Raconte Soltane.
Vaincu, il reprit sa place en face d'elle, se frictionna les mains pour se défaire de sa gêne et se racla la gorge à deux reprises.
— En effet, maman, commença-t-il d'une voix enrouée.
Mais son courage le quitta et il se tut de nouveau.
— Je t'écoute, l'exhorta la morte de cette voix dont elle usait pour lui raconter ces merveilleux contes de fées qui avaient illuminé son enfance.
— Je lui ai demandé pourtant de me laisser tranquille, s'emporta-t-il en fixant l'épitaphe d'un regard décidé. Mais…, mais il a…
— Tu as toujours été très bon Soltane.
Il y avait un accent de fierté dans la voix de la disparue qui survolta les nerfs à son misérable rejeton. « Bon mon cul ! », s'exclama-t-il en lui-même, « con m'rait bien mieux, comme un gant maman ! » Prenant conscience qu'il était allé trop loin, et craignant que sa mère ne surprît sur ses lèvres ses terribles énormités, il s'empressa de bafouiller d'une voix tourmentée :
— J'ai tout fait pour le repousser, mais il…
— De quoi s'agit-il ? l'interrompit la vieille non sans impatience.
— C'est de la fille de Si Mertili que je voudrais te parler maman, se décida-t-il enfin.
— Farida ! s'enquit la vieille femme, alarmée.
— Non, non maman, c'est de la petite Haïfa qu'il s'agit.
Soltane eut du mal à expliquer à sa mère la nature du malheur qui avait frappé de plein fouet la fille cadette de son vieil instituteur. Il s'évertua à trouver les mots justes pour décrire l'étrange mal qui s'était emparée de la petite, à peine pubère, mais s'embrouilla rapidement, cafouilla et finit par se taire. Il entendait s'agiter sa mère au fond de son trou, et se l'imaginait qui se frottait les mains et se pressait le bout du nez, tout en lui criant de parler simplement et clairement.
— Dernièrement, il y a eu des morts à Siliana, dit-il pour faire diversion. Beaucoup de jeunes gens ont perdu la vue.
— Quel âge-t-elle cette Haïfa ?
C'était bien là sa façon de déjouer ses ruses d'enfant pusillanime. Il souffla contrarié, évita de porter le regard sur le visage maternel qu'il se représenta tout tendu par la curiosité, et reprit laborieusement ses explications. Tout commença le jour où si Hamed remarqua que la petite avait contracté l'étrange habitude de se faire invisible, en ne laissant plus rie voir rien de sa personne dans la rue, pas même son joli minois. Il crut à un jeu ou un caprice, mais il dut se rendre rapidement compte que la môme était sérieusement atteinte. En moins d'une semaine, elle perdit le rire, son caractère hâbleur et affecta un air farouche et sournois qui déplut à tout le monde. Le comble, c'est que, dès son retour du collège, elle s'enfermait à clef et exigeait qu'on lui servît ses repas dans sa chambre.
A suivre


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