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Jamais, je ne vous quitterai...
La nouvelle de dimanche
Publié dans Le Temps le 02 - 12 - 2012

Vous n'allez pas me croire si je vous dis sincèrement que j'étais mort une fois. C'était en 1982, j'allais partir pour le Royaume d'Arabie Saoudite pour y travailler en bénéficiant d'un salaire assez alléchant. Le jour de mon départ, tout le monde pleurait : ma défunte mère, mes frères, mes sœurs, mon épouse, sa mère, mes trois filles âgées respectivement de six, cinq et deux ans.
Même nos voisins pleuraient. On se croirait à un enterrement.
Faut vous dire que dans ma famille, personne n'a jamais quitté le pays. « Celui qui part est perdu et celui qui revient est né » disait ma mère.
Haouirette – Nassèh
Arrivé à Riadh, à peine sorti de l'aéroport bien climatisé qu'un vent brûlant nous fouetta le visage, un collègue quinquagénaire éclata en sanglots en se cachant le visage avec les mains.
Un responsable du ministère des connaissances, assis confortablement dans son bureau climatisé nous confisqua nos passeports et nous envoya, mon collègue Hechmi de Sidi Bouazid et moi, enseigner dans un village au fin fonds du désert de Nadjd, nommé Haouirette-Nassèh, situé à plus de deux cents kilomètres de la capitale saoudienne.
C'était l'enfer, la chaleur était torride.
Le bled était sinistre, presque vide, quelques maisons éparpillées ça et là, une petite école bien bâtie, une minuscule mosquée, une épicerie quelconque et une station-service minable.
A cause de la chaleur insupportable, les gens se terraient chez eux comme des taupes.
L'année suivante quand j'ai amené ma femme et mes filles voir Haouirette-Nassèh. Roukaya, en larmes m'a dit : « Comment tu as fait pour vivre ici ? Tu aurais dû rentrer... »
Quatre Soudanais, un Egyptien, mon compatriote et moi, partagions deux chambres non dallées, une petite cuisine, des toilettes à la turc, l'électricité nous était fournie ainsi qu'à tous les villageois, par un générateur fonctionnant au gas-oil. L'eau potable nous était livrée par un camion citerne qui une fois par mois, remplissait le réservoir souterrain de la maison.
Le staff enseignant se composait d'un Palestinien, un Syrien accompagné par son épouse et ses enfants, un Saoudien Dhafir, aveugle qui enseignait la religion, nos colocataires, les quatre Soudanais, l'Egyptien, Hechmi et moi.
Vers huit heures du matin, les élèves affluaient vers l'école en camionnette, car la plupart venait des villages limitrophes. Certains bédouins habitaient dans des tentes et élevaient des chèvres et des dromadaires.
Nous enseignions jusqu'à midi ou treize heures.
L'après-midi, ainsi que jeudi et vendredi pas d'école.
Les lettres que ma femme m'envoyait, mettaient dix à quinze jours pour arriver. Il n'y avait pas de portables à cette époque, même pas de téléphone fixe ni chez moi à la Marsa ni à l'école.
C'est à ce moment là que je me suis dit : « Mon pauvre bougre, tu t'es jeté dans la gueule du loup, tu es foutu. Mais quelle mouche t'a piqué pour venir ici ? Pourtant, tu étais heureux avec ta petite famille dans ton studio. Eh bien, crève maintenant ».
Un dépaysement total
«Qu'il est triste ce bled ! » Il était désolant, pas de verdure sauf un champ de blé, quelques carrés de tomates et de concombres cultivés par trois Saïdis venus d'Egypte mais tout autour c'est l'infini, le vide des montagnes gigantesques et du sable : le désert.
L'après-midi, je m'allongeais sur mon lit. Un grand ventilateur suspendu au plafond aérait la chambre mais je suais énormément et je revoyais en flash-back ma pauvre maman asséchant ses larmes, ma femme, mes fillettes. Mon Dieu, comme elles me manquaient. Tout me manquait : ma maison, mon quartier, ma ville, mon pays, le blanc des murs, le bleu des portes et des fenêtres, la mer turquoise, les cyprès, les eucalyptus, les mimosas fleuris. Qu'il est beau mon pays !
La Marsa, ma ville natale, c'est le paradis. Je me mordais les doigts. Je m'en voulais atrocement et je maudissais le jour où j'ai pris l'avion pour Riadh car ce jour là, j'aurais souhaité tomber malade ou me fracturer une jambe pour ne pas partir.
Je ne savais pas dans quel bonheur j'étais.
Nous habitions dans un petit studio de cinquante mètres carrés avec un salaire minable mais nous étions heureux car nous vivions ensemble.
Il a fallu cette séparation, cet exil, ce déchirement pour me rendre compte que ma femme et mes filles étaient toute ma vie, le seul but de mon existence que sans elles, je n'existe pas. Ma vie n'a aucun sens. Loin d'elles, c'est le néant, le vide, le chaos, la mort.
J'avais besoin de les embrasser, les serrer contre mon cœur, asseoir mes petites sur mes genoux, les amuser, leur raconter des histoires, leur tenant les mains, sentir leur haleine fraîche, leur respiration.
Et je m'endormais en rêvant d'elles.
Un seul être vous manque...
Parfois, le vendredi, j'allais à Riadh : une vraie métropole cosmopolite, car en plus des autochtones, il y avait des milliers d'étrangers venus de tous les coins du monde bosser pour une poignée de ryals.
J'errais comme une âme en peine perdue dans les rues bourrées de la ville. Et parmi cette foule immense, je cherchais vainement les doux visages de mon épouse et de mes petites. Quand je voyais des parents tenant par la main leurs enfants, j'avais le cœur qui saignait, les larmes se bousculaient dans mes yeux et je maudissais le jour où j'ai quitté mon pays, ma famille, ces êtres si chers.
La capitale qui, pourtant, grouillait de monde me paraissait alors vide. Lamartine a raison : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Et quand je regagnais mon village, c'était comme si je retournais au cimetière ou en prison.
Mourir, c'est quoi ?
Mais en fait, mourir c'est quoi ? Mourir c'est partir. « Partir, c'est nourrir un peu » disait Haraucourt c'est même mourir beaucoup, quitter des personnes qu'on aime, être loin d'elles par son corps et non par son esprit. C'est la séparation des corps. Mourir, c'est demeurer dans l'impossibilité de toucher, serrer dans ses bras, étreindre, embrasser, écouter, regarder, donner, partager, vivre avec ceux qu'on aime. Celui qui n'aime personne est déjà mort. Il n'existe pas.
Même s'il se croit vivant puisqu'il mange, boit fume. Il ne le sait pas mais il est mort. Sans amour pas de vie. Je ne le savais pas mais je me suis rendu compte que j'étais amoureux fou de mon épouse et que j'adorais à en mourir mes fillettes.
D'ailleurs, j'ai écrit à ma femme des dizaines de lettres d'amour comme je n'en ai jamais écrit. La pauvre, en les lisant, elles les imbibait de ses larmes chaudes m'a-t-elle révélé.
La solitude
En effet, cette année scolaire 1982-1983 s'est avérée une année noire, la pire année de mon existence.
J'ai failli perdre la raison, tellement j'ai souffert.
J'ai perdu une dizaine de kilogrammes.
Parfois, je marchais seul dans le désert, je soliloquais, je divaguais. La solitude, l'isolement, la canicule, m'ont anéanti, tué. « Qu'est-ce que je fais là ? Mais pourquoi suis-je là ? Ah ! Pour les Ryals saoudiens, avide va ».
A mon retour au bercail, amaigri, livide tel un tuberculeux sortant d'un sanatorium, en me voyant, Khalti Toumia ma voisine m'a dit étonnée : « Ya Fethi, tu étais en prison ? » « Oui, j'y étais » lui ai-je répondu évasivement. La vieille ne croyait pas si bien dire.
En fait, j'ai passé neuf mois dans cette prison sans barreaux qu'on appelle le désert de Nadjd, dans ce cimetière sans tombeaux qu'on appelle Haouirette-Nassèh.
Je suis vraiment ressuscité, le jour où je suis rentré chez moi, au moment où j'ai retrouvé ma femme et mes fillettes alors je les ai serrées passionnément contre moi et je les ai embrassées tendrement, longuement en pleurant comme un enfant que sa mère vient de sevrer et je leur ai fait une promesse solennelle : jamais, plus jamais, je ne vous quitterai, je le jure devant Dieu. Partout où j'irai vous serez avec moi toutes les quatre car vous êtes ma vie, mon bonheur et sans vous je ne suis rien. Et puis m'adressant à ma femme tout en lui tenant les mains, je lui ai dit ceci : « Ni toi sans moi, ni moi sans toi, jusqu'à ce que la mort nous sépare ».
Fethi BEN CHAABENE
Instituteur retraité


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