LIGUE 1 – championnat national (5e journée) – EST : Garder la dynamique...    Annulation du ferry Tunis – Marseille du 13 septembre    Aneti : fin de la prolongation des contrats CIVP à partir du 1er octobre 2025    Opérations de contrôle économique : 2915 infractions relevées depuis le 1er septembre    Formation professionnelle : une allocution mensuelle pour les étudiants liée à l'assiduité    Russie : un tremblement de terre de magnitude 7,5 frappe les côtes de l'Est    Kaïs Saïed dénonce de « faux adversaires » manipulés par un metteur en scène    LIGUE 1 – championnat national (5e journée) – CAB : Pas droit à l'erreur !    18 000 à 24 000 cas d'AVC recensés chaque année : lancement d'un plan national    Hommage posthume à Fadhel Jaziri : deux jours de commémoration pour son quarantième jour de décès    Seneca Hacks 2025 : l'INSAT accueille un hackathon international sur l'IA    Ridha Bergaoui: Et si on cultivait le gingembre pour profiter de ses multiples bienfaits ?    Quel temps fera-t-il samedi 13 septembre 2025 ?    Les signes astrologiques qui auront de la chance après la mi-septembre... êtes-vous concerné ?    Kaïs Saïed appelle à des solutions radicales contre le chômage et la pauvreté    Séisme de magnitude 7,4 au large de la côte pacifique de la Russie    Nouveau pont de Bizerte : 7 % d'avancement pour l'ouvrage principal    72ème anniversaire de l'assassinat de Hédi Chaker: Photos et documents révélés par les Archives nationales    Flottille Soumoud : Prête à larguer les amarres, le départ pour Gaza se précise    Météo : un week-end sous le signe du soleil    Ordre des avocats : le bâtonnier se présente comme défenseur de tous, les critiques fusent    Santé : une hausse de 40 dinars accordée aux jeunes médecins pour leurs gardes    La Flottille de la Liberté mondiale accoste au port de Bizerte avant de mettre le cap sur Gaza    Tunisie – Tadjikistan : Nafti reçoit le nouvel ambassadeur tadjik    Hannibal Mejbri offre un immeuble estimé à un million de dinars à SOS villages d'enfants    Marathon Comar: La 38e édition aura lieu le 30 novembre prochain    Village SOS: cérémonie en l'honneur de 147 enfants et jeunes qui se sont distingués    Charlie Kirk assassiné : le suspect présumé arrêté, selon Donald Trump    L'artiste Wadi Mhiri décédé à l'âge de 60 ans    JCC 2025 : ouverture des inscriptions pour la section "Cinéma du Monde" jusqu'au 10 octobre    L'INSSPA rappelle l'obligation d'autorisation pour les unités de conditionnement alimentaire    La France disposée à accompagner le nouveau plan tunisien 2026 -2030 : signatures de conventions de financement pour 54.5 millions d'euros    Exposition l'objet de Majed Zalila : Bizarre, Bizarre    Balance commerciale : le déficit s'aggrave de 22,7% en août 2025    Initiative 5+5 : Le ministre de la défense revendique de nouveaux mécanismes de coopération    Le comité de défense de Mondher Ounissi dénonce des violences à la prison de la Mornaguia    Ghassen Henchiri : le départ de la flottille est prévu dès l'amélioration des conditions météorologiques    TunisieIran : l'option risquée de Kaïs Saïed    Les trois savants auxquels Abdelmajid Charfi témoigne de sa profonde reconnaissance    Skifa des Juifs : Moknine agit pour protéger un monument du XVIIe siècle    Sidi Bou Saïd : la Tunisie accélère le dossier d'inscription à l'Unesco    Le futur champion tunisien Rami Rahmouni sur le point d'être naturalisé en Arabie Saoudite    Partenariat tuniso-égyptien pour élargir les opportunités dans l'agriculture, le tourisme et la technologie    Une source précieuse : Encyclopédie de Science politique    Dr Devyani Khobragade : L'Inde et la Tunisie sont deux cultures cousines, prêtes à se rapprocher    La FIFA donne raison à la Fédération tunisienne : les joueurs avertis !    La Tunisie décroche son billet pour le Mondial 2026    Toutes les chaînes pour suivre le match des Aigles de Carthage    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Jamais, je ne vous quitterai...
La nouvelle de dimanche
Publié dans Le Temps le 02 - 12 - 2012

Vous n'allez pas me croire si je vous dis sincèrement que j'étais mort une fois. C'était en 1982, j'allais partir pour le Royaume d'Arabie Saoudite pour y travailler en bénéficiant d'un salaire assez alléchant. Le jour de mon départ, tout le monde pleurait : ma défunte mère, mes frères, mes sœurs, mon épouse, sa mère, mes trois filles âgées respectivement de six, cinq et deux ans.
Même nos voisins pleuraient. On se croirait à un enterrement.
Faut vous dire que dans ma famille, personne n'a jamais quitté le pays. « Celui qui part est perdu et celui qui revient est né » disait ma mère.
Haouirette – Nassèh
Arrivé à Riadh, à peine sorti de l'aéroport bien climatisé qu'un vent brûlant nous fouetta le visage, un collègue quinquagénaire éclata en sanglots en se cachant le visage avec les mains.
Un responsable du ministère des connaissances, assis confortablement dans son bureau climatisé nous confisqua nos passeports et nous envoya, mon collègue Hechmi de Sidi Bouazid et moi, enseigner dans un village au fin fonds du désert de Nadjd, nommé Haouirette-Nassèh, situé à plus de deux cents kilomètres de la capitale saoudienne.
C'était l'enfer, la chaleur était torride.
Le bled était sinistre, presque vide, quelques maisons éparpillées ça et là, une petite école bien bâtie, une minuscule mosquée, une épicerie quelconque et une station-service minable.
A cause de la chaleur insupportable, les gens se terraient chez eux comme des taupes.
L'année suivante quand j'ai amené ma femme et mes filles voir Haouirette-Nassèh. Roukaya, en larmes m'a dit : « Comment tu as fait pour vivre ici ? Tu aurais dû rentrer... »
Quatre Soudanais, un Egyptien, mon compatriote et moi, partagions deux chambres non dallées, une petite cuisine, des toilettes à la turc, l'électricité nous était fournie ainsi qu'à tous les villageois, par un générateur fonctionnant au gas-oil. L'eau potable nous était livrée par un camion citerne qui une fois par mois, remplissait le réservoir souterrain de la maison.
Le staff enseignant se composait d'un Palestinien, un Syrien accompagné par son épouse et ses enfants, un Saoudien Dhafir, aveugle qui enseignait la religion, nos colocataires, les quatre Soudanais, l'Egyptien, Hechmi et moi.
Vers huit heures du matin, les élèves affluaient vers l'école en camionnette, car la plupart venait des villages limitrophes. Certains bédouins habitaient dans des tentes et élevaient des chèvres et des dromadaires.
Nous enseignions jusqu'à midi ou treize heures.
L'après-midi, ainsi que jeudi et vendredi pas d'école.
Les lettres que ma femme m'envoyait, mettaient dix à quinze jours pour arriver. Il n'y avait pas de portables à cette époque, même pas de téléphone fixe ni chez moi à la Marsa ni à l'école.
C'est à ce moment là que je me suis dit : « Mon pauvre bougre, tu t'es jeté dans la gueule du loup, tu es foutu. Mais quelle mouche t'a piqué pour venir ici ? Pourtant, tu étais heureux avec ta petite famille dans ton studio. Eh bien, crève maintenant ».
Un dépaysement total
«Qu'il est triste ce bled ! » Il était désolant, pas de verdure sauf un champ de blé, quelques carrés de tomates et de concombres cultivés par trois Saïdis venus d'Egypte mais tout autour c'est l'infini, le vide des montagnes gigantesques et du sable : le désert.
L'après-midi, je m'allongeais sur mon lit. Un grand ventilateur suspendu au plafond aérait la chambre mais je suais énormément et je revoyais en flash-back ma pauvre maman asséchant ses larmes, ma femme, mes fillettes. Mon Dieu, comme elles me manquaient. Tout me manquait : ma maison, mon quartier, ma ville, mon pays, le blanc des murs, le bleu des portes et des fenêtres, la mer turquoise, les cyprès, les eucalyptus, les mimosas fleuris. Qu'il est beau mon pays !
La Marsa, ma ville natale, c'est le paradis. Je me mordais les doigts. Je m'en voulais atrocement et je maudissais le jour où j'ai pris l'avion pour Riadh car ce jour là, j'aurais souhaité tomber malade ou me fracturer une jambe pour ne pas partir.
Je ne savais pas dans quel bonheur j'étais.
Nous habitions dans un petit studio de cinquante mètres carrés avec un salaire minable mais nous étions heureux car nous vivions ensemble.
Il a fallu cette séparation, cet exil, ce déchirement pour me rendre compte que ma femme et mes filles étaient toute ma vie, le seul but de mon existence que sans elles, je n'existe pas. Ma vie n'a aucun sens. Loin d'elles, c'est le néant, le vide, le chaos, la mort.
J'avais besoin de les embrasser, les serrer contre mon cœur, asseoir mes petites sur mes genoux, les amuser, leur raconter des histoires, leur tenant les mains, sentir leur haleine fraîche, leur respiration.
Et je m'endormais en rêvant d'elles.
Un seul être vous manque...
Parfois, le vendredi, j'allais à Riadh : une vraie métropole cosmopolite, car en plus des autochtones, il y avait des milliers d'étrangers venus de tous les coins du monde bosser pour une poignée de ryals.
J'errais comme une âme en peine perdue dans les rues bourrées de la ville. Et parmi cette foule immense, je cherchais vainement les doux visages de mon épouse et de mes petites. Quand je voyais des parents tenant par la main leurs enfants, j'avais le cœur qui saignait, les larmes se bousculaient dans mes yeux et je maudissais le jour où j'ai quitté mon pays, ma famille, ces êtres si chers.
La capitale qui, pourtant, grouillait de monde me paraissait alors vide. Lamartine a raison : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Et quand je regagnais mon village, c'était comme si je retournais au cimetière ou en prison.
Mourir, c'est quoi ?
Mais en fait, mourir c'est quoi ? Mourir c'est partir. « Partir, c'est nourrir un peu » disait Haraucourt c'est même mourir beaucoup, quitter des personnes qu'on aime, être loin d'elles par son corps et non par son esprit. C'est la séparation des corps. Mourir, c'est demeurer dans l'impossibilité de toucher, serrer dans ses bras, étreindre, embrasser, écouter, regarder, donner, partager, vivre avec ceux qu'on aime. Celui qui n'aime personne est déjà mort. Il n'existe pas.
Même s'il se croit vivant puisqu'il mange, boit fume. Il ne le sait pas mais il est mort. Sans amour pas de vie. Je ne le savais pas mais je me suis rendu compte que j'étais amoureux fou de mon épouse et que j'adorais à en mourir mes fillettes.
D'ailleurs, j'ai écrit à ma femme des dizaines de lettres d'amour comme je n'en ai jamais écrit. La pauvre, en les lisant, elles les imbibait de ses larmes chaudes m'a-t-elle révélé.
La solitude
En effet, cette année scolaire 1982-1983 s'est avérée une année noire, la pire année de mon existence.
J'ai failli perdre la raison, tellement j'ai souffert.
J'ai perdu une dizaine de kilogrammes.
Parfois, je marchais seul dans le désert, je soliloquais, je divaguais. La solitude, l'isolement, la canicule, m'ont anéanti, tué. « Qu'est-ce que je fais là ? Mais pourquoi suis-je là ? Ah ! Pour les Ryals saoudiens, avide va ».
A mon retour au bercail, amaigri, livide tel un tuberculeux sortant d'un sanatorium, en me voyant, Khalti Toumia ma voisine m'a dit étonnée : « Ya Fethi, tu étais en prison ? » « Oui, j'y étais » lui ai-je répondu évasivement. La vieille ne croyait pas si bien dire.
En fait, j'ai passé neuf mois dans cette prison sans barreaux qu'on appelle le désert de Nadjd, dans ce cimetière sans tombeaux qu'on appelle Haouirette-Nassèh.
Je suis vraiment ressuscité, le jour où je suis rentré chez moi, au moment où j'ai retrouvé ma femme et mes fillettes alors je les ai serrées passionnément contre moi et je les ai embrassées tendrement, longuement en pleurant comme un enfant que sa mère vient de sevrer et je leur ai fait une promesse solennelle : jamais, plus jamais, je ne vous quitterai, je le jure devant Dieu. Partout où j'irai vous serez avec moi toutes les quatre car vous êtes ma vie, mon bonheur et sans vous je ne suis rien. Et puis m'adressant à ma femme tout en lui tenant les mains, je lui ai dit ceci : « Ni toi sans moi, ni moi sans toi, jusqu'à ce que la mort nous sépare ».
Fethi BEN CHAABENE
Instituteur retraité


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.