La journée mondiale du livre qui a lieu chaque année le 23 avril est passée presque inaperçue sous nos cieux puisqu'on n'a pas vu d'activité dédiée au livre. Certes, beaucoup d'autres évènements plus brulants continuent à accaparer l'attention de l'élite politique. Mais, on n'a pas vu de mobilisation du côté des partenaires culturels qui constituent ensemble la chaîne du livre (maisons d'édition, auteurs, librairies, bibliothèques, critiques littéraires, journalistes culturels, établissements scolaires et universitaires, associations actives dans le domaine de la culture et centres culturels ). Ce qui démontre le désintérêt, ou du moins, le peu d'intérêt qu'on donne au livre en général et à l'écriture et à la lecture en particulier. Le phénomène le plus inquiétant, certains croient voir là la concrétisation d'une tendance lourde mise en évidence par la sociologie des pratiques culturelles, est la réduction du noyau de « forts lecteurs » (un livre par semaine et plus) au profit d'un nuage de « petits lecteurs » plus volatils. Combien d'élèves et d'étudiants lisent par plaisir et non par obligation? Avec les treize universités parsemées dans le pays, les millions d'élèves et d'étudiants et les milliers de diplômés du supérieur, la Tunisie ne compte malheureusement que quelques librairies culturelles. Quel que soit le constat qu'on peut faire, il y a lieu de dire toutes ces données ne favorisent ni le livre ni la lecture. Et par conséquent, ne pemettent pas à la culture d'être la locomotive du progrès social. C'est une Lapalissade que de dire que le livre, la lecture et l'écriture sont des vecteurs de liberté, tout autant que d'éblouissements et de plaisirs. Liberté, éblouissements et plaisirs à la portée de tous. Qu'est-ce, en effet, l'essence d'un livre? Ni un manuel, ni un traité, ni même un libellé, le livre n'est pas réductible à l'ouvrage, que l'on entende dans ce terme le texte ou le papier. Le livre ne peut être considéré ni simplement en tant qu'un « contenant » ni tout uniquement comme un «contenu». Aux côtés des parents dont nous soulignons le rôle primordial dans les moments partagés autour du livre, nous devons accorder une place non moins importante aux « passeurs de livres » dans les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les bibliothèques publiques ou universitaires. Ces passeurs devraient souvent des éveilleurs de curiosités proposant des livres novateurs qui bousculent les idées reçues, qui dévoilent des pans méconnus de l'environnement culturel. Un livre reste, selon un philosophe contemporain, « un météore qui se disperse en milliers de météorites dont les courses errantes provoquent des collisions, des retrouvailles, des concrétions soudaines de nouveaux livres, des tracés de caractères inédits, des éditions augmentées, revues et corrigées, une immense circulation stellaire.» De ce fait, il convient d'accorder une attention particulière au problème de représentation de notre rapport au livre. Il nous faut acheter, lire et faire aimer le livre non parce qu'il est manuel scolaire ou œuvre programmée dans un niveau précis de formation. Il nous faut acheter le livre pour nous distraire, pour nous informer et nous former. La lecture des livres professionnels, scolaires et universitaires et des livres pratiques ne sont pas incompatibles avec la lecture de romans, d'essais, de poésie et théâtre. C'est-à-dire de tous les livres qui sont porteurs de tant de possibles, de rêves, d'émotions enchevêtrées dans les propositions du texte et de l'image…Il nous faut lire dans toutes les langues, dans tous les sens. Fondamentalement, cette représentation conduit à se situer sur le terrain d'une certaine conception de la culture, non comme don accordé ou héritage préservé, mais comme pratique vivante, quotidienne, objet de luttes et de pensée, inséparablement. Vecteur de savoir, de connaissance et pensée critique, le livre conduit le lecteur à éviter toute clôture à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de sa société, et, positivement, d'instaurer ce lecteur dans une relation d'interaction positive avec plusieurs imaginaires et plusieurs du monde. L'écriture, la lecture et le livre sont à considérer, dans les conditions qui sont les nôtres aujourd'hui, comme des enjeux stratégiques, fins et moyens tout à la fois, de la constitution d'une culture qui ne peut rester exclusivement nationale et qui, par conséquent, doit profiter de toutes les transfusions. Ils participent, également, de sujets véritables, de citoyens engagés, clairvoyants sans dogmatisme, responsables sans démission devant le cours du monde et sa complexité. Riches d'un potentiel créateur sans commune mesure et capables de valider dans le quotidien l'idée selon laquelle le livre dé-livre.