L'on remarque que depuis quelques années les vieux classiques tant adulés par les générations passées figurent de moins en moins dans les manuels scolaires destinés à nos élèves du primaire ou du secondaire et la priorité a été donnée aux écrivains contemporains qui, pense-t-on, tentent mieux la jeunesse d'aujourd'hui. Serait-ce là une bonne initiative qui permettra un tant soit peu de réconcilier nos élèves avec la lecture ? La consultation nationale sur le livre et la culture qui a eu lieu l'année dernière nous a fourni des chiffres effrayants quant à la pratique de la lecture en Tunisie en révélant que 22,74 % des Tunisiens n'ont jamais lu de livres et que 7 Tunisiens sur 10 n'ont pas lu un livre en 2009. Comparés à d'autres peuples d'Europe ou d'Asie, nous sommes loin d'être dans la norme. Ce résultat est en quelque sorte attendu du moment que nos jeunes cèdent plus facilement au chant des sirènes des nouvelles technologies : le livre, cet outil de culture et de savoir, semble être relégué au second plan devant la prolifération d'autres moyens de culture et de loisirs plus modernes et capables de fournir l'information immédiate avec un moindre effort. En effet, il devient inutile de demander à un élève du secondaire de lire Zola, Balzac, Stendhal, pour ne citer que ces exemples qui ont marqué la littérature du 19ème siècle. Même les écrivains contemporains les font bailler d'ennui ! C'est qu'ils ont d'autres chats à fouetter : un jeu électronique, un chat via le net, un bavardage sur Face book seraient certainement plus intéressants aux yeux des jeunes d'aujourd'hui. Il est impensable qu'on continue à distribuer des romans, pêle-mêle, aux élèves, dans le cadre d'une bibliothèque de classe, que ce soit en arabe ou en français, et de leur demander de les lire et d'en faire le résumé. C'est demander la mer à boire pour la majorité des élèves ; et même les plus brillants se rebiffent devant une tâche aussi pénible ! Une telle méthode n'a plus de raison d'être dans notre école qui a choisi de s'ouvrir aux nouvelles technologies. Ces nouvelles technologies, devenues incontournables, devraient amener nos responsables de l'enseignement et nos enseignants à repenser la pédagogie de la lecture en tant qu'une activité primordiale dans nos établissements scolaires, notamment en mettant une nouvelle stratégie capable d'attirer l'attention des élèves aux bienfaits de la lecture qui demeure, malgré tout, le meilleur moyen qui incite à l'analyse et à l'esprit critique dont nos élèves ont toujours besoin. Il existe sans doute des enseignants efficaces et des enseignants moins efficaces au regard d'une activité de lecture. L'activité en question doit se plier aux exigences des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) qui sont en train de gagner progressivement notre système éducatif. Il va sans dire qu'un enfant est naturellement prédisposé à la lecture, il est enclin aux plaisirs procurés par le livre et il est curieux de vivre des aventures à travers les histoires imaginaires racontées dans les contes et les illustrés, mais il arrive qu'il soit victime d'abord de parents peu ou non conscients des bienfaits de cette activité et qui se sentent parfois désarmés pédagogiquement, vu leur situation sociale et leur niveau d'instruction, pour aider leur enfant à s'adonner à la lecture et s'approcher mieux du livre. En l'absence de traditions familiales incitant les enfants dès leur bas âge à la lecture, c'est l'école qui doit s'en charger, moyennant une nouvelle stratégie susceptible d'accorder plus d'importance à la lecture à travers tous les niveaux du cursus scolaire. Il faudrait peut-être commencer par la révision du temps scolaire, car le manque de temps est aussi un facteur déterminant dans ce désintérêt généralisé pour la lecture ; aussi faut-il alléger les emplois du temps des élèves pour leur permettre de trouver le temps nécessaire aux activités culturelles, notamment la lecture. Hechmi KHALLADI ---------------------------- Témoignages Comment faire ? C'est la question que nous avons posée à quelques enseignants de collèges et de lycées et dont les réponses étaient très variées. D. M., professeur de français : « Lire un roman de A jusqu'à Z est un véritable supplice pour un élève d'aujourd'hui » « Je me demande pourquoi imposer à l'élève un certain genre de lecture. Lire un roman de A jusqu'à Z est un véritable supplice pour un élève d'aujourd'hui. D'autant plus que l'envie de lecture lui manque depuis la prime enfance : comment voulez-vous qu'il ait le plaisir de lire alors qu'il n'est pas habitué à voir ses parents tenir un livre en temps de repos ? Inutile donc de lui imposer quelque chose à laquelle il n'était pas initié auparavant. Peut-être faut-il les orienter vers la lecture sur écran, tant qu'ils sont mordus d'ordinateurs et de multimédia. Ces nouveaux outils de communication virtuels pourront peut-être stimuler leur goût et leur compétence à lire ? Il est donc préférable de renvoyer les élèves à un site spécialisé dans les livres numériques, l'essentiel étant d'avoir l'envie et le plaisir de lire ! Si un élève est passionné pour le football, comme la majorité des jeunes d'aujourd'hui, autant lui proposer des livres traitant de cette activité sportive au lieu de lui proposer un roman du 19è siècle qu'il trouvera peut être difficile et ennuyeux; de même suggérer un livre parlant de la vie des stars si l'élève est fan de musique ou de cinéma. Les profs pourraient proposer des livres autres que littéraires. L'essentiel est d'avoir envie de lire !» ---------------------------- N. A., professeur d'arabe : « Il faut attirer l'attention de nos élèves sur la lecture » « Avec les résultats inquiétants de la consultation nationale sur le livre et la lecture, un plan d'action doit être envisagé en vue d'adopter de nouvelles démarches susceptibles d'attirer l'attention de nos élèves à la lecture. Plusieurs questions doivent être mises sur la table. D'abord, les critères sur lesquels juger de la qualité des œuvres mises à la disposition des élèves soit au niveau de la bibliothèque scolaire, soit dans le cadre de la bibliothèque de classe. Ensuite, le temps imparti à l'activité de lecture en classe doit être révisé (1 heure par mois est très insuffisant !) ; il faut accorder le temps nécessaire à cette activité scolaire primordiale. Enfin, il y a la méthode qui doit changer : inutile de donner un livre à un élève en lui demandant de le lire et d'en faire le résumé au bout d'un certain temps ! L'expérience a montré que ce procédé n'a pas fait ses preuves, car le jour J, l'élève arrive avec son résumé ou son compte-rendu qu'il a tout simplement trouvé sur Internet, sans pour autant avoir lu le livre ! Je pense que, pour que l'activité de lecture soit efficace et bénéfique pour l'élève, il faut l'accompagner au moment de la lecture et entretenir un vrai contact avec lui au moment de la difficulté qu'il pourrait rencontrer ; cela aide énormément à attirer son envie et créer un certain plaisir de lecture chez lui. C'est pour cette raison que je préfère le retour aux séances de lecture suivie qu'on exerçait dans nos classes des années 60 et 70 » ---------------------------- M.B.Z, enseignant retraité : « L'école doit jouer son rôle » « Il est vrai que les jeunes d'aujourd'hui ne lisent plus ou lisent moins que leurs parents ou grands parents. Les temps changent. Les jeunes d'aujourd'hui sont en possession d'autres moyens de loisirs qui pourraient être plus utiles à leurs yeux que les livres. Toujours est-il que le livre doit rester l'outil le plus précieux en matière de culture et de savoir ! Pour réconcilier les jeunes à la lecture, l'école doit jouer son rôle là-dessus, en adoptant les programmes et le temps scolaire aux nouveaux besoins des élèves qui sont de plus en plus passionnés par l'ordinateur qu'ils utilisent dans la vie quotidienne. En fait, pourquoi imposer tel ou tel genre de livres aux élèves alors qu'ils n'éprouvent ni l'envie ni le plaisir ni même la capacité de les lire. A mon avis, le problème réside dans le fait d'ignorer quelles sont les principales difficultés des jeunes en ce qui concerne la lecture ? Il faut connaître ces difficultés pour pouvoir y remédier ? Il ne faut pas trop compter sur les parents pour développer cette compétence de lecture chez leurs enfants ; ils sont trop occupés par les contraintes sociales et professionnelles pour le faire. Je trouve que l'école est en mesure de redonner à la lecture la place qu'elle a toujours occupée dans l'enseignement. Pour ce faire, il faut commencer par l'aménagement physique des bibliothèques scolaires en les dotant de moyens didactiques modernes, tel des ordinateurs, des supports audio-visuels, livres contemporains répondant aux préoccupations et aux goûts des jeunes d'aujourd'hui. Il est temps que le système éducatif évolue davantage pour être le reflet de la réalité de notre jeunesse ! »