La campagne présidentielle a démarré ce week end sur fond d'une mauvaise note dans le concert qui fête la démocratie naissante en Tunisie. Le plus paradoxal, c'est que cette note émane de personnalités politiques qui se disent « démocrates socialistes ». Passons sur la dénomination impropre et que ne pourrait représenter aujourd'hui dans notre pays, dans le sens strict de ce concept, que le parti de Hamma Hammami. Cette « initiative jaafaresque » est un dernier recours des mauvais perdants des élections législatives dont une figure s'est dévoilée dans toute la profondeur de la crise éthique qu'elle concrétise, même contre l'opinion des plus crédibles dans son parti, en taxant le peuple tunisien de débilité et d'inconscience, juste parce qu'il n'a pas voté pour son parti : ce même peuple qui était hier « grand et magnifique, à même de donner des leçons au monde entier » ! Quelle mesquinerie, pour ne pas dire autre chose, juste par respect même des irrespectueux. Finalement, aussi bien Hamma Hammami que Abderrazak Kilani ont claqué la porte devant les « clowneries jaafaresques », le Front populaire soulignant même la possibilité, pour lui, de participer au gouvernement de Nidaa sur la base d'un programme préalablement entendu, ce qui semble être la démarche même du premier parti gagnant des législatives. Quand on sait que N. Chebbi et M. Moncef Marzouki ont déjà ouvert leurs campagnes, on imagine qu'il restera dans un coin de la cave, autour d'un petit braséro politique, les seuls Ben Jaafar et Hamdi, devant un souffleur du braséro, Mohammed Abbou qui ne semble briller que dans cette tâche. Lui-même déclarant d'ailleurs, à demi-mot : c'est Marzouki ou personne. Au-delà de cette boutade qu'il conviendrait de considérer comme un fait divers politique, on peut faire assez nettement le bilan du paysage crédible des élections : Il y a d'abord les indépendants, parmi lesquels il faudrait distinguer les faux indépendants (le plus faux étant Marzouki) et les vrais indépendants, en soulignant qu'ils ne le sont que relativement. Ils développent tous l'opportunité d'un président indépendant à ce moment crucial de la transition démocratique et l'idée ne manque pas d'émules dont certains, soit dit en passant, sont loin d'être indépendants et désintéressés de tout calcul personnel, faussant alors le principe d'indépendance de leur candidat. Reste à méditer deux données déterminantes : Après les résultats des législatives et leurs effets divers, avons-nous encore l'assurance que les électeurs tunisiens pourront s'accommoder de l'idée d'indépendance présidentielle dans un contexte par trop tendu en profondeur, malgré l'apparence d'une adhésion généralisée à l'idée « d'union nationale », une idée fondatrice dans la philosophie de Bourguiba, mais différemment exploitée dans le contexte actuel ? Ensuite, on est en droit de se demander s'il est possible de garantir la stabilité nécessaire à la relance de la machine du développement, sans une cohérence solidaire de l'exécutif (présidence de la république et gouvernement), dans le respect des prérogatives de chacun, et sans une indépendance législative assurée par les majorités très relatives qui constituent le conseil des députés du peuple ? Force est de croire que le scrutin est seul à trancher la réponse ; on en reparlera après le 23 novembre, en attendant, cadidater en tant qu'indépendant, pourquoi pas ? Reste les candidats des partis par trop minoritaires aux résultats des législatives mais continuant de croire à leurs chances dans les présidentielles, au moins pour une juste évaluation de la dimension actuelle de la personne. Il y aurait d'un côté Kamel Morjane qui reste le seul baromètre permettant d'apprécier à sa juste valeur la prédisposition ou non des électeurs tunisiens à s'accommoder de la participation politique des anciens du régime de Ben Ali. Cette seule caractéristique légitimerait le maintien de sa candidature, indépendamment de toute autre prétention au pouvoir. Il y a aussi N. Chebbi qui perd, à chaque étape, un pan important de sa crédibilité à force de chercher à se redonner de la valeur sur la base de ce qu'il reproche aux autres (il suffit de relever la colère de son frère chaque fois que Béji Caïd Essebsi est nommé favorablement), à force aussi de continuer de pleurer sur les ruines de son passé militant, inconscient que le peuple a besoin d'avenir et que les dits « démocrates socialistes », sans l'être vraiment, ne font que cultiver le dénigrement des autres, le séparatisme, la vantardise, n'osant aucun vrai programme politique crédible. D'ailleurs la plupart d'entre eux se rabattent plutôt sur le programme du gouvernement, misant déjà sur l'interférence des prérogatives. Finalement, les vrais candidats au potentiel intrinsèque assez important sont les trois premiers classés des législatives, abstraction faite d'un éventuel soutien d'Ennahdha (peu probable nous semble-t-il) à Marzouki, ce qui la discréditerait davantage auprès d'une frange de la population prête à la considérer dans le nouveau statut qu'elle cherche à se donner, celui d'un parti civil, même si son inspiration est de culture religieuse. Il y a Hamma Hammami et Slim Riahi qui nous paraissent jouer le rôle de sparring partner appelés à jouer sportivement la compétition, dans le respect qui permet de ne pas insulter l'avenir, face à un favori qui semble être un favori sérieux avec lequel ils seraient appelés à gouverner. L'argument de la campagne, contre BCE, se jouerait à l'argument de la séparation des trois pouvoirs et la prévention contre le discours de la peur et le vote utile, utilisés par Nidaa dans les législatives. Or, au vu des premiers indices, c'est la même stratégie qui est aujourd'hui utilisée par les adversaires de Béji (ce qui est de bonne guerre). Posons-nous honnêtement une question : si le parti de Marzouki ou celui de Chebbi ou celui de chacun des « démocrates socialistes » avait gagné les législatives, ces présidents de partis auraient-ils renoncé à la candidature présidentielle ? Sûrement pas, et ils auraient tous insisté alors sur la nécessité et le besoin de renforcer l'exécutif pour la stabilité nécessaire à la réhabilitation de l'Etat et de son rôle. Et c'est ce même argument qui semble prévaloir aujourd'hui auprès de la majorité des Tunisiens, relevant d'une vision des choses selon laquelle, comme souligné ci-dessus, le pouvoir exécutif doit être renforcé par une complémentarité respectueuse et non conflictuelle entre la présidence et le gouvernement, avec un regard critique et régulateur du conseil du peuple dont le bureau directeur pourrait se répartir entre les partis à même de se regrouper dans une cohabitation positive et constructive, en l'occurrence le Front Populaire et Afek Tounes, peut-être même l'UPL une fois sorti de l'émulation présidentielle. Quant à Ennahdha, elle devrait jouer dans ce conseil une opposition positive fondatrice de la nouvelle démocratie. Car sans un groupe qui gouverne et un autre dans l'opposition, comment évaluer, à la fin, la responsabilité de la réussite ou de l'échec ?