Aujourd'hui, l'attention des Tunisiens est branchée sur les rouages de composition du gouvernement de Habib Essid, à la fois par ceux qui, sincèrement, s'inquiètent pour l'avenir de leur pays, et par ceux qui, personnellement ou par lobbies interposés, cherchent à se (re)positionner dans la nouvelle composition du pouvoir, quitte à y mettre le prix qu'il faut ou à y laisser la part nécessaire de leur dignité. Restons au niveau des énergies positives, surtout que nous avons l'assurance relative que le nouveau président du gouvernement en charge n'entend pas se laisser prendre aux manipulations diverses et compte conduire sa tâche, d'abord et surtout, en coordination avec le parti qui a été élu par le peuple pour cette fonction et qui l'a honoré, lui Habib Essid, de la mission historique de conduire le premier gouvernement de la Deuxième République tunisienne. En effet, nous avons failli nous retrouver dans un vrai nouveau partage du gâteau, à la manière de la troïka qui avait donné toutes les preuves de son parfait échec, n'était une part des responsabilités sauvées de justesse par le Dialogue nationale. On entend dire alors qu'il y a tant de portefeuilles pour ce parti ou tant pour cet autre, parfois même en inadéquation absolue avec le poids politique de la partie concernée ; on sent aussi l'intention de faire pression par le poids « virtuel » (aux deux niveaux de sens du mot) pour essayer d'imposer tel nom ou tel autre. Osons faire confiance au président en charge du gouvernement et à la raison d'Etat qui présiderait à sa démarche et commanderait ses objectifs. Pour l'essentiel de ce qui concerne le prochain gouvernement, il y aurait des suggestions à présenter, ici, si cela peut servir à conforter la démarche et à converger les attentions vers les visées fondamentales, dans l'urgence des délais. De ces suggestions, nous citerions celles-ci : 1 – Il ne faudrait pas que Nidaa Tounes se laisse intimider outre mesure par les reproches de non concordance de ses choix conjoncturels avec son discours électoral, même si cela peut faire des mécontents, juste pour le temps qu'il faudrait avant que les résultats ne poussent les électeurs à réviser certains mécontentements précipitamment exprimés. Pour être plus direct, si la conjoncture impose au Nidaa une forme ou une autre de rapprochement avec Ennahdha, il ne faudrait pas que l'attitude épidermique de certains inconditionnels bloque la démarche. Il reviendra plus tard aux responsables du parti, d'ici son congrès, de s'en expliquer et de s'en justifier pour reprendre de la cohésion partisane dans l'attachement et la consolidation de la démocratie interne. Pourtant Ennahdha, de son côté, aurait pu faire le geste noble qui aurait rehaussé sa crédibilité, encore suspecte et fragile, en renonçant à entrer dans le gouvernement de façon criante et de dire que, sa participation faisant obstacle, le Mouvement resterait une force de conseil et de soutien et se retirerait, ne serait-ce que provisoirement, de la composition du gouvernement, comme il l'avait fait à l'issue du Dialogue National. Il faudrair reconnaître cependant que la politique a ses raisons que la raison ne comprend pas toujours. 2 – D'aucuns me reprocheraient une contradiction apparente avec ce que j'avais écrit à la sortie des élections pour espérer voir Ennahdha, et peut-être ses anciens partenaires qui s'étaient avérés sans poids sans ce mouvement, s'inscrire dans une opposition nécessaire à la nouvelle orientation démocratique du pays. Car sans opposition effective, nulle démocratie véritable. Pourtant la contradiction n'est qu'apparente, me semble-t-il. Ce que j'avais dit au départ était fondé sur l'espoir, et à mon sens l'orientation rationnellement nécessaire du Front Populaire, que celui-ci adhèrerait au gouvernement et contribuerait à une plus grande socialisation d'un gouvernement à dominante libérale, même si ce libéralisme est centriste pour ses grandes lignes. Or, la position du FN, fort respectable par ailleurs, demeure dans la cohérence de son idéologie classique dont il lui paraît difficile de se démarquer, ne serait-ce que partiellement. En conclusion, sans le Front et sans Ennahdha, tous deux antinomiques pour l'instant, du moins du point de vue du Front, tout gouvernement resterait d'une fragilité caractérisée, dans l'incertitude absolue et irrémédiable d'avoir l'appui de l'ARP pour ses orientations et ses démarches. Al jabha a dressé des obstacles frontaux devant toute alliance sincèrement démocratique : elle veut exclure Ennahdha, les anciens responsables de la troïka, les anciens responsables de la période anté-révolutionnaire, exclure presque (même si l'expression est nuancée à ce propos) le programme de Nidaa Tounès, le parti majoritaire et responsable du gouvernement. Autant dire que le Front Populaire demande à prendre les rênes du pouvoir, même si le scrutin ne le lui a pas donné, et à gouverner seul pour l'application de son programme ! De fait, maintenant les tunisiens en ont eu la preuve, le FN est un parti d'opposition organique, et c'est sans doute tant mieux. 3 – Pour l'heure, il va sans dire que le gouvernement, essentiellement politique, se constituerait autour des piliers fondamentaux de la coalition : Nidaa Tounès, l'UPL, Afek Tounès, Ennahdha (de façon directe ou biaisée) et, à un degré moindre, AlMoubadara Eddostouria. C'est logique, c'est peut-être bon pour la Tunisie, l'avenir nous le dira. Nous aurons alors une opposition conséquente, celle du Front, sans doute regroupant autour de lui les épaves des partis en naufrage. 4 – Il ne reste pas moins vrai que certains ministères gagneraient à être dirigés par des technocrates indépendants. Il y en aurait au moins deux : le ministère de la Culture et le ministère des Affaires religieuses. Ce serait un signe fort qui soulignerait que la Tunisie reste le pays de tous, un pays où la religion est de cohésion nationale, grâce à sa pratique tunisienne historique, au-delà des lectures variées et libres qu'on pourrait en faire ; un pays où la culture aussi est plurielle et libre, sans porter un quelconque préjudice à l'unité nationale. Ainsi seulement le prochain gouvernement serait le plus proche des défis de l'étape historique que nous vivons, tournant le dos à tous les activismes d'intérêts étriqués et à toutes les cartes invalides de l'obstination opportuniste.