La première grande épreuve du gouvernement Essid est sans doute la façon de gérer les événements en cours au Sud du pays, des événements dont les tenants et les aboutissants sont imbriqués et parfois peu distincts. Il n'en reste pas moins évident qu'ils tiennent, d'une manière ou d'une autre sinon essentiellement, de la gestion de certaines questions par le gouvernement de Mehdi Jomaa. Soyons clair d'abord sur un fait incontestable, ce gouvernement a accompli une bonne partie de sa mission, notamment celle liée au volet politique et, pour une part non négligeable, celle ayant trait à la lutte contre le terrorisme. Rien que pour cela, nous n'avons aucun regret à avoir soutenu ce gouvernement à ses débuts et à placer en lui une part importante de nos espoirs quant à l'aboutissement de la transition démocratique. Cependant, nous voudrions aujourd'hui rappeler un point que nous avions souligné comme constituant une vraie bombe à retardement, celui du peu d'intérêt accordé par l'équipe de Mehdi Jomaa au social. En effet, cette équipe s'est vantée d'avoir œuvré pour contracter un fond de réserve afin de faciliter le démarrage du gouvernement qui allait lui succéder. Cela est peut-être vrai, avec beaucoup de nuance selon certains. En tout cas, cela est méritoire. Cependant, le gouvernement Jomaa a non seulement manqué à tout intérêt dû à la situation sociale, mais il a aussi envenimé les choses en prenant des décisions difficiles à supporter par les citoyens de conditions précaires : les prix ont augmenté de façon douloureuse, doublement d'ailleurs, de façon directe et indirecte ; les salaires n'ont pas été améliorés et cela aurait pu se comprendre s'il n'y avait eu la hausse des prix ; en plus, à chaque fois que des difficultés financières sont devenues un peu trop pesantes, on a déduit des salaires des fonctionnaires des contributions « forcées » ; on a aussi décidé sans préavis d'une taxe imposée aux étrangers à leur sortie du territoire tunisien, avec les implications diverses que cette décisions a eues sur le tourisme et sur le trafic commercial des zones frontalières. Ce trafic est certes non réglementaire et forcément nuisible pour un bon fonctionnement du secteur ; mais ne fallait-il pas d'abord endiguer certaines tensions et trouver quelques solutions, même provisoires, avant de prendre de telles décisions ? Nous disions alors que l'argent ou la promesse d'argent ne seraient pas forcément favorables au gouvernement des élections, s'il n'y avait pas d'abord un climat social favorable à la stabilité et à même de permettre un bon démarrage de la machine de développement. On s'en rend compte aujourd'hui au vu des événements de Dhiba, de Kébili et de Tataouine. Il y a même à craindre que d'autres foyers de mécontentement soient en échauffement. Force est donc d'aller dans le sens de l'apaisement, à tous les niveaux et de tous les côtés. Le dernier, en fait le premier, conseil des ministres de Habib Essid paraît s'orienter vers la suppression du timbre à payer à la sortie du territoire tunisien et de discuter avec les Libyens la discussion d'une décision analogue de leur côté. Cela est sans doute une démarche raisonnable et quelque peu rassurante, surtout qu'elle semble s'orienter vers un ordre strict d'éviter les abus au moment des confrontations avec les manifestants. D'autres décisions urgentes sont à prendre et d'autres solutions à trouver, les unes en navigant à vue, les autres en élaborant une stratégie à moyenne et à longue échéance. C'est dire, à la fin, que le gouvernement Essid a du pain sur la planche – il le sait – et que la Tunisie n'est pas encore sortie de l'auberge – nous devrions le savoir. Espérons seulement que tous les Tunisiens n'hésiteront pas, chacun de son côté et tous ensemble, à faire ce qu'il faut.