Les islamistes... s'il y a un courant politique qui accapare aujourd'hui le regard (et l'inquiétude) des Tunisiens, c'est bien celui-ci. Particulièrement Ennahdha qui verse dans les manuvres politiques à fond les boulons. Et quand l'une des grosses têtes (et des grandes gueules) de ce mouvement se voit offrir plus d'une bonne heure sur une télévision tunisienne à une heure de grande écoute pour vendre sa marchandise, on doit faire l'effort de comprendre et de lier alpha à oméga. Nous affichons à cet égard notre crainte que Cheikh Abdelfattah Mourou n'aurait plus rien en stock puisqu'il a tout vendu en bloc à ses quatre interlocuteurs. Imaginez un bébé de trois mois, disant ''areu'' et riant de toutes ses fossettes devant un public qui est en train de fondre de tendresse! C'est exactement ce qui s'est passé entre Mourou et les quatre journalistes censés le cuisiner et le pousser à se dévoiler en profondeur. Pourtant, l'illusionnisme, on connaît; rien dans les mains, rien dans les poches mais vos yeux (qui ne parviennent pas à suivre le mouvement) sont abusés sans autre forme de procès. On le connaît avec une autre grosse tête du mouvement islamiste: Cheikh Rached Ghannouchi, qui est venu il y a quelques semaines avec un joli tour de passe-passe en annonçant, est qu'il ne se présentera pas à l'élection présidentielle mais omettant de dire que ses troupes (hautement disciplinées, encadrées, disposant des moyens qu'il faut) sont déjà sur le terrain pour préparer les législatives (clef de tout dans un système parlementaire). Le 23 mars au soir, en direct à la tété, Cheikh Rached est ainsi relayé par Cheikh Abdelfattah Mourou; un autre stratège qui est tout aussi aguerri par des décennies de manuvres, de confrontations avec le pouvoir, de travail inlassable sur la base... Le même hommage à la Révolution et aux jeunes qui en ont allumé la mèche, la même déférence envers les femmes, la même insistance sur le respect des lois, la même disposition à accepter toutes les autres obédiences politiques, le même souci du message démocratique, le même respect des institutions, le même soutien à la non-violence, le même attachement au Code du statut personnel... Et tout cela fait peut-être un peu peur car le discours de l'un et de l'autre est fait exactement comme s'ils nous disaient tout ce que nous voulions entendre! Une différence cependant: Cheikh Abdelfattah Mourou est bien plus ''charmeur'' que Cheikh Rached Ghannouchi, plus habile à ''rapprocher'' les textes purs de la Chariaâ de la réalité culturelle comme il dit, plus doué pour poser des questions rhétoriques, sortir des histoires drôles de son giron, alterner le chaud et le froid, n'éludant aucune interrogation mais la traitant tellement en profondeur que le sens en devient dilué et semblant soudain comme bénin, allant jusqu'à critiquer Ennahdha d'abord pour ne pas l'avoir associé au bureau fondateur pour la nouvelle demande de visa puis pour lui avoir demandé de revenir parmi ses rangs (sous la pression de la base, dit-il)... Bref, si Cheikh Abdelfattah Mourou a manifestement plus de facilité à faire avaler la pilule aux Tunisiens que Cheikh Rached Ghannouchi, il n'empêche que leurs dissensions (dont tout le monde parle avec un plaisir d'inconscient) ne sont qu'une autre illusion. Rien dans les mains, rien dans les poches... et votre regard s'égare, mais croyez-vous vraiment que l'un pourrait se mettre l'autre à dos? ''J'aime Cheikh Rached et Cheikh Rached m'aime'', a affirmé clairement et nettement, en direct à la télé, Abdelfattah Mourou. Le seul exemple des quatre journalistes qui ont essayé de cuisiner Abdelfattah Mourou invite à réfléchir parce qu'ils ont fini par tomber gaga devant lui alors qu'ils sont loin d'être de la Bottom-Line. Au contraire, Slaheddine Jourchi, Sofiane Ben H'mida et Jamel Arfaoui (en plus d'Elyès Gharbi, un jeune journaliste déjà très prometteur) sont parmi les plus respectés et les plus expérimentés de nos confrères et leur attitude montre qu'en fin de compte Abdelfattah Mourou n'est pas seulement un illusionniste mais aussi un magicien. Et nous formulons l'espoir que ce ne soit pas de la magie noire au moment où les Tunisiens ont besoin de lucidité, de franchise et de réalisme! - Tous les articles sur Tunisie