La mise sous séquestre de tous les biens de la famille de l'ancien président ainsi que ceux des familles proches et alliés par le décret-loi n°13 a rassuré une grande partie de la population tunisienne qui avait peur que ceux qui ont profité du système s'en sortent à bon compte. Le décret n'a toutefois pas recueilli l'unanimité de tous et parmi les critiques qui lui ont été adressées, son anti-conformité à la Constitution mais aussi le fait d'avoir mis dans le même sac et au même degré de responsabilités les personnes incriminées. « A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles », rétorque Adel Ben Ismaïl, président de la commission de confiscation des biens mal acquis. Les mesures spécifiques sont le propre d'une justice transitionnelle, explique t-il. Les voies de recours sont possibles et ceux qui considèrent qu'ils sont ou ont été lésés peuvent porter plainte devant les tribunaux en prenant en compte une autre exception : le fait d'avoir à prouver leur bonne foi lors de l'acquisition des biens confisqués. «C'est cela aussi, une justice transitionnelle, ce n'est plus au dépositaire du recours de prouver la culpabilité de ou des personnes incriminées, c'est plutôt à elles d'apporter les preuves de leur conformité au droit et du fait qu'elles n'ont pas lésés les droits d'autrui ou de l'Etat. C'est ce qui s'appelle l'exception au principe de la présomption de bonne foi. Ceci dit, le décret d'application promulgué au mois de mai exclu les biens hérités de l'acte de confiscation ». La valeur des actifs confisqués évaluée d'après l'expert comptable Salah Dhibi à 3 milliards de dinars (1,5 milliard d'euros) et qui peuvent atteindre les 5 milliards si on y ajoute les titres fonciers, qui ne seraient pas moins de 600 d'après les dernières estimations. A ce jour la commission de Confiscation a envoyé à la commission de gestion du ministère des Finances la liste de toutes les entreprises du groupe Princesse Holding, la SOTUDEV appartenant auparavant à Imed Trabelsi ainsi que Batimed et Med Business Holding qui possède des participations dans la Banque congolaise de l'Habitat. Les voies de recours sont-elles possibles ? Les concernés ont-ils une voie de recours, pour faire valoir leurs droits ? Trop tôt pour le savoir, disent les observateurs. Le temps est à la patience. Ceux qui ont fait recours au Tribunal administratif ont été déboutés « Le tribunal a jugé les plaintes non recevables car il ne s'agit pas de décisions administratives ». Ceux qui s'estiment avoir été lésés doivent être patients estime Me Nadia Felah. «Pour réaliser la justice et l'équité, il faut tolérer la lenteur de l'appareil judiciaire». En attendant, la commission compte s'attaquer à tous ceux qui ont profité du système : des hommes de main, aux sociétés écran et passant par les initiateurs et les architectes de plans d'escroquerie et de spoliation des biens de l'Etat et d'autrui pour le compte de la famille. «Nous ne laisserons pas échapper les hommes de l'ombre, ceux qui se sont enrichis impunément. Nous avons déjà des indices sur un certain nombre de personnes avec des listes non achevées des biens acquis de manière illicite. Nous commençons à débroussailler le terrain et dans peu de temps nous aurons plus de visibilité, ce qui nous permettra de rassurer au plus tôt la communauté d'hommes d'affaires qui n'ont pas participé à des malversations et qui forment le plus grand nombre des opérateurs privés» assure M.Ben Ismail. Un alinéa du décret-loi promulgué au mois de mars autorise d'ailleurs la commission à étendre la confiscation à toute personne possédant des biens mal acquis. « Il y aura une première et une deuxième ligne d'initiateurs ». Mais la commission ne fera en aucun cas de la chasse aux sorcières « Nous voulons juste délimiter le cercle des personnes impliquées dans les actes de mise à sac du pays. Nous ne ferons pas de vendetta et nous tenons à préserver les intérêts des opérateurs privés autant qu'ils le veulent eux-mêmes ». La mise sous séquestre peut être définitive, elle peut être également une mesure préventive ou conservatoire, pour empêcher les concernés de profiter des avantages acquis tout au long de l'ère Ben Ali et de les céder à des tiers. « Ceux qui arrivent à donner toutes le preuves de l'honnêteté de la provenance de leurs fortunes n'ont pas à s'inquiéter. Ceux qui se sont adonnés en connaissance de cause à des pratiques malhonnêtes ou ont abusé de leur pouvoir pour s'enrichir impunément doivent assumer leurs responsabilités », estime Adel Ben Ismaïl.