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Ce qui a été pris par l'instrumentalisation de la loi sera repris par la force de la loi Entretien avec: M. Ahmed Adhoum, ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières :
• 1.275 biens immobiliers recensés avec titres bleus partagés entre 600 personnes physiques et 650 personnes morales • 1.600 biens immobiliers appartenant à l'ancien RCD répertoriés et 90 millions de dinars de dettes non honorées • Bientôt des unités de gestions avec des administrateurs confirmés pour gérer les biens confisqués et regroupement de sociétés dans des holdings pour en assurer l'unité de direction et de gestion Rien ne prédestinait Ahmed Adhoum, ce haut magistrat natif de Kairouan, aux fonctions ministérielles. Titulaire d'une maîtrise en droit, il avait rejoint le corps de la magistrature en 1978 et exercé successivement à Kairouan comme juge au tribunal cantonal avant d'occuper le poste de président du Tribunal de première instance relevant de la même circonscription en 1988 puis président du Tribunal de première instance de Mahdia en 1989. En 1995, M. Ahmed Adhoum a été désigné président du Tribunal de première instance de Monastir avant d'occuper le poste de président à la Cour d'appel de Bizerte puis premier président de la même cour en 2000. Après la révolution, il a été nommé secrétaire d'Etat chargé des Domaines de l'Etat avant d'être promu ministre à la tête du même ministère. Affable, d'un abord facile et maîtrisant bien ses dossiers, il arrive tôt, même très tôt, le matin au bureau pour le quitter tard en fin de journée. Quand nous l'avons contacté pour lui faire part de notre souhait de réaliser une enquête sur les biens mal acquis, il a apprécié l'idée en nous fixant un rendez-vous pour nous parler de ce dossier. Entretien. Beaucoup de questions taraudent les esprits autour des biens mal acquis, des méthodes utilisées pour détourner illicitement les fonds publics, la complicité de l'administration dans l'enrichissement ostentatoire du clan de l'ancien président et de sa femme. Maintenant que l'omerta est brisée, les Tunisiens ont le droit de tout savoir sur les pratiques mafieuses de cette pieuvre. «C'est ce à quoi nous travaillons depuis plus de six mois», réplique M.Ahmed Adhoum qui détaille le nombre de biens confisqués jusque-là. «Pas moins de 1.250 biens immobiliers ont été recensés avec des titres bleus appartenant à l'ancien président, sa femme et leurs familles, partagés entre 600 personnes physiques et 650 personnes morales (sociétés). Nous avons découvert d'autres biens qui ne sont pas enregistrés à la propriété foncière. Imaginez l'énormité et la complexité de la tâche». Mais comment le clan a-t-il réussi à amasser toute cette richesse et faire fortune rapidement ? «En instrumentalisant la loi», réplique le ministre qui explique les subterfuges utilisés pour faire bénéficier les membres des familles de tous les avantages et autres privilèges de manière légale. «En inscrivant dans la loi de finances, par exemple, des exonérations de droits de douane de certains produits destinés à l'importation ou à l'exportation. Or il se trouve que ce sont quelques membres des deux familles qui en détiennent l'exclusivité».Voilà comment on se trouve avec des comptes grassouillets sans aucun effort et sans être inquiété pour escroquerie par la grâce d'une loi promulguée sur mesure et par des textes d'expropriation ou de changement de la vocation des terres agricoles pour les octroyer aux membres des deux clans à des prix dérisoires. «Effectivement, acquiesce M. Ahmed Adhoum, plusieurs décrets ont été publiés au Journal officiel pour modifier le statut de terrains qui seront, par la suite, vendus à des prix exorbitants engendrant un bénéfice de plusieurs millions de dinars», comme c'est le cas des deux dernières affaires des sociétés El Bouhayra et la Pierre immobilière jugées par le Tribunal de première instance de Tunis qui a condamné l'ancien président, sa fille et son gendre à plusieurs années de prison et des millions de dinars d'amende. Comment procéder alors à la confiscation des biens acquis conformément à la loi et sans courir le risque de voir leurs «propriétaires» se retourner contre l'Etat devant les tribunaux pour les reprendre ? «En utilisant la loi», répond notre interlocuteur. C'est-à-dire ? «L'Etat est dans son droit. Il doit mettre la main sur tous les biens considérés mal acquis. Le décret loi du 13 mars dernier portant sur la confiscation des biens est clair là-dessus. Il précise que tous les biens et valeurs mobiliers et immobiliers acquis après le 7 novembre 1987 doivent-être confisqués». Aucune possibilité de recours pour eux ? «Sauf s'ils arrivent à prouver que les biens acquis après cette date l'ont été par droit successoral». C'est le juge qui parle, sachant bien qu'il est impossible pour eux de prouver cela. Et les sociétés de mise en valeur et de développement agricoles ? «Près de 6.000 hectares des meilleures terres ont été presque gracieusement octroyés aux membres de la famille de l'ancien président et celle de sa femme. Je dis presque parce que le loyer est tellement dérisoire qu'il ne reflète pas du tout la valeur réelle de ces terres», fait observer le ministre. Mais comment va-t-on gérer les biens et les avoirs confisqués ? «Pour le moment, des séquestres et des administrateurs judiciaires ont été désignés pour assurer la gestion quotidienne. Mais face aux difficultés qui entravent la bonne marche des sociétés notamment, une commission de gestion a été créée auprès du ministre des Finances par le décret-loi n°68 en date du 14 juillet 2011. Composée des ministres des Finances, des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, de la Justice et d'un représentant du Premier ministère, cette commission prendra les mesures nécessaires pour assurer la bonne gestion des sociétés confisquées. Nous sommes en train de réfléchir à la création d'unités de gestion et de nommer à leur tête des gestionnaires confirmés ou encore à regrouper plusieurs participations et sociétés dans un holding pour mieux en assurer l'unité de la direction et de la gestion. La commission pourra, également, céder ou restructurer certaines sociétés ou participations, conformément aux règlements en vigueur, et ce, après accord du Premier ministre». Reste le sort qui sera réservé à ces vastes maisons, véritables palais, qui ont été la cible de plusieurs actes de vandalisme, de saccages, de pillages et de vols lors des événements ayant suivi la révolution et reprises par l'Etat. Pour le moment, rien n'a encore été décidé, mais l'option la plus probable est la vente aux enchères, nous assure-t-on. Mais le ministère des Domaines de l'Etat n'a pas que le dossier des biens de la famille de l'ancien président et celle de sa femme. «Nous avons aussi le dossier des biens de l'ancien RCD sur lequel nous avons commencé à travailler au lendemain de l'arrêt final de la Cour de cassation, le 22 avril dernier», précise M. Ahmed Adhoum, ajoutant : «Nous avons, jusque-là, recensé 1.600 biens immobiliers dans 18 gouvernorats et le chiffre pourrait atteindre les 2.000. Avec ou sans titres fonciers. Car l'ancien parti disposait de locaux mis à sa disposition par l'Etat, les collectivités locales et les entreprises publiques ou privées. En plus de 217 voitures toutes récupérées. Avec des dettes de 90 millions de dinars envers des sociétés publiques surtout. D'ailleurs j'ai chargé un haut cadre du ministère de s'occuper exclusivement de ce dossier, car les choses ne sont pas faciles. Pour le seul siège surplombant l'avenue Mohamed-V, l'équipe chargée de faire l'inventaire y a passé près d'un mois pour finir son travail. Certains locaux ont été squattés par des citoyens qui y ont élu domicile et il sera difficile de pouvoir les déloger». Et les droits des créanciers? «Ils doivent déclarer leurs créances, preuves à l'appui, au ministère qui les examinera et leur donnera les réponses appropriées et un décret-loi relatif aux biens et valeurs du RCD sera incessamment promulgué portant création d'une commission spéciale qui sera composée des représentants des parties prenantes pour se pencher spécialement sur l'examen du dossier de l'ancien parti». Que faire avec ces biens immobiliers? «Il faut d'abord dresser une liste exhaustive des biens pour départager ceux qui appartiennent au RCD de ceux qui ne lui appartiennent pas. Mais tout va revenir à l'Etat conformément à la loi sur les partis. Déjà ,nous avons des demandes, parfois pressantes, de la part de certaines administrations publiques pour disposer des locaux, comme c'est le cas de l'ancien siège de la campagne électorale sis rue de Rome et provisoirement mis à la disposition de l'Instance supérieure indépendante des élections ou encore l'ancien siège du comité de coordination de Sfax pour lesquels nous avons reçu plusieurs demandes». Véritable travail de titans qui nécessite beaucoup de moyens et de personnel. Ce qui manque terriblement pour le moment. Et si l'on admet que le traitement d'un seul dossier nécessite un minimum d'une journée, il faudra encore des années pour pouvoir terminer le travail. «Figurez vous, objecte M. Ahmed Adhoum, que pour la confiscation des biens de la famille beylicale entamée en 1956, le dossier n'est pas encore clos». Alors patience. Message répercuté.