On n'attendait pas vraiment M. Béji Caïd Essebsi sur ce terrain là. Celui du flingage avec le sourire. A l'encontre d'une vieille connaissance. Dont l'orgueil, la vanité et la célébrité lui ont toujours insufflé, affirme le locataire d'El Kasbah, le sentiment de l'impunité et de l'infaillibilité. Au fait, dans son allocution, du 18 août 2011, au Palais des Congrès, devant les représentants de la société civile, de la presse nationale et étrangère et des principaux partis politiques du pays, le chef du gouvernement provisoire, dont le souci majeur, depuis l'intronisation de son «team» de technocrates au début du mois de mars 2011, est de ne pas subir l'usure et les avanies du traitement des affaires courantes, a d'emblée taclé et cloué au pilori Ahmed Mestiri, son vieux compagnon de la mouvance libérale, fondateur du MDS, qui a multiplié, ces derniers temps, les phrases assassines, les quolibets, les diatribes et les invectives déstabilisantes à l'encontre de l'équipe d'El Kasbah. Le coup de grâce vient toujours de l'être aimé!... Eh! Oui Le pouvoir a ses règles et ses priorités, vouloir s'y frotter, c'est s'y piquer. Néanmoins, de l'avis de plusieurs observateurs avertis, aucun homme d'Etat en exercice n'a été si longtemps, si patiemment insulté en Tunisie. Mais la gloire, disait André Malraux, peut trouver, souvent, dans l'outrage, son suprême éclat. Et Béji Caid Essebsi, velox, patiens laborum, a l'habitude de laisser passer et de laisser dire. Il sait des choses et sait les taire. A vrai dire, issus, tous les deux, du clan de La Marsa, de la bourgeoisie tunisoise, des «beldia» pur jus, la bagarre entre ces deux personnalités, nous dit-on, figures de proue de l'opposition à Bourguiba dans les années soixante-dix, premiers porteurs du projet démocratique dans les rangs du parti destourien, lors du congrès de Monastir en 1971, ne date pas d'hier. Elle a apparemment accompagné le parcours politique de ces deux mastodontes de l'ère bourguibienne. Avec quelques passes d'armes, dont seuls ces vieux routiers des sentes du pouvoir ont le secret. Mais aucun des deux n'a réussi à mettre KO son adversaire. Au fait, même au crépuscule d'une vie politique mouvementée, la pause, entre les deux frères-ennemis, n'est pas pour demain. Car nul n'échappe aux pièges du pouvoir. Les deux hommes ont suffisamment fréquenté la solitude pour avoir appris à dompter les ombres. La politique, nous dit-on, demeure la fosse aux lions. Finalement, pour Béji Caid Essebsi, depuis le triomphe de la révolution de la liberté et de la dignité, Ahmed Mestiri, pris dans une sorte de spasme jusqu'au-boutiste, joue un jeu de dupes. Sert la soupe aux radicaux. Se «zorroise» devant les mass-médias. Aiguise toutes les oppositions. Exploite la veine de la colère et du défi. Savonne le terrain politique. Se sert de tous les leviers disponibles. Fait les yeux de Chimène aux islamistes. Gratifie. Se brouille. Jalouse. Flatte. Minaude. Distribue des satisfécits. Juge. Claironne. Sermonne. Autrement dit, sa barque est pleine. Et il ne se passe pas une semaine, affirme une source officielle, sans qu'on l'entende désavouer, rabrouer, réprimander l'équipe gouvernementale. Lui qui, au ministère de l'Intérieur au début des années soixante-dix, n'a pas hésité, nous dit un ancien militant perspectiviste, à casser le congrès démocratique de l'UGET à Korba en 1971 et à favoriser l'émergence d'une direction fantoche, aux ordres du PSD, provoquant ainsi la plus longue crise estudiantine de l'histoire du pays. Au fait, le chef du gouvernement provisoire, dans l'obligation, tout au long de son allocution, au Palais des Congrès, de tout peser, tout balancer, tout maîtriser au milieu de tant d'intérêts et de passions contradictoires, a parlé en homme qui sait son affaire. Pour lui, les passions de l'homme sont de tous les temps. Mais l'art du politique est de les employer au bien commun. A bon entendeur Salut!