A ceux qui ne l'ont pas encore compris au sein de notre honorable Constituante, la réforme de l'Administration est la réforme de l'Etat. Il a fallu à la Tunisie près de 60 ans pour construire son Administration, laquelle, malgré ses nombreuses défaillances, a assuré jusqu'ici. Si le pays a pu tenir le coup aussi longtemps, c'est bien parce que l'Administration tunisienne a résisté et surtout après la révolution en l'absence de tout pouvoir «légitime». Pourrait-on la réformer en une année? «Nos ministères pourront assurer l'essentiel de leurs missions sans même qu'il y aient des ministres à leurs têtes, tant nos premiers responsables sont dans leurs petits souliers et n'osent prendre aucune décision qui les engagent ou engagent leurs départements. Nous sommes pour ainsi dire sans grands capitaines aux commandes de nos navires», a déclaré un haut fonctionnaire. L'Administration est importante parce qu'elle accomplit une mission d'intérêt général qui exige dans le contexte actuel de la Tunisie une efficacité des politiques publiques pour préserver les équilibres sociaux et économiques. Elle doit, dans le même temps, s'adapter aux changements opérés dans le pays depuis le 14 janvier. Les réformes décriées du haut de la Constituante sont-elles urgentes pour la Tunisie? D'après les déclarations de Noureddine Bhiri, chef du bloc du parti Ennahdha, «le peuple attend de nous que nous procédions à des réformes approfondies du système administratif et économique du pays pour répondre à ses attentes et satisfaire ses exigences». Mais est-ce bien pour cela que le peuple a élu la Constituante? Et n'est-ce pas par trop prétentieux de prétendre réformer en une année une administration que le pays a pris 60 ans pour édifier? Le prochain gouvernement aurait tout un programme pour «révolutionner» l'Administration en nommant aux postes clés de nouvelles compétences. Qui sont-elles? Selon quels critères seront-elles sélectionnées? Au sein même de notre administration, n'y a-t-il pas des compétences rompues aux rouages de l'Etat, qui ont mérité par force travail et luttes leurs postes ou qui ont été écartées pour des raisons de politiques politiciennes et qui mériteraient d'occuper des postes qu'elles vaudraient aujourd'hui après la révolution? Et si la Constituante, comme le présentent certains membres, en se mettant à de discuter des candidatures des hauts fonctionnaires, aura-t-elle suffisamment de temps pour écrire la Constitution du pays? «Ce n'est pas une tâche aisée que de créer une nouvelle Administration ou d'en dissoudre une autre. La décision de mettre en place une institution étatique peut prendre 2 à trois années pour se concrétiser. Nous parlons bien d'un mandat d'une année, n'est-ce pas? Il faudrait peut-être avoir plus de précisions et de certitudes là-dessus. Rappelons tout de même que la marche vers le paradis est pavée de bonnes intentions. Nous ne doutons pas de celles de nos confrères à la Constituante mais notre rôle est de ne pas s'en suffire Pour ce qui est de discuter avec le ministre concerné pour désigner les hauts fonctionnaires, je tiens à insister sur les principes de la séparation des pouvoirs et la neutralité de l'Administration, et ceci doit être écrit noir sur blanc. Suivant les spécialités des commissions, il faudrait que les désignations des hautes fonctions soient débattues au sein de la Constituante et qu'elles soient publiques pour renforcer les principes de transparence et de bonne gouvernance», avait déclaré Iyed Dahmani, député PDP lors de récentes discussions. Député-ministre: la séparation des pouvoir, le leurre de la nouvelle Tunisie?! Depuis l'annonce des résultats des élections, nous avons vu des dizaines de noms de ministres défiler dans les médias, suscitant inquiétudes et appréhensions au sein de nombre de départements ministériels. Il y en aurait même dans certaines administrations qui auraient d'ores et déjà décidé de boycotter des noms qui ne les dirigent pas encore. «Les débats de la Constituante ne sont pas très rassurants et le vote récent du cumul des fonctions entre député et ministre ne va pas dans le sens de rassurer une opinion publique qui espérait rompre avec des pratiques totalitaires et des prérogatives démesurées: c'est vraiment scandaleux et ça commence à bien faire! L'article 15 qui vient d'être adopté à l'ANC autorise les cumuls des postes et même des salaires! Autrement dit, Jebali percevrait 2.500 dinars + 8.000 dinars, Marzouki 2.500 + 21.000, Bhiri 2.500 + 4.500... Non mais ils se foutent de notre gueule ou quoi? Déjà que les caisses de l'Etat sont presque vides et que 4 jours de salaires seront déduits aux travailleurs, eux ils cumulent les salaires?, s'étonne Moez Joudi, président de l'Association nationale de la gouvernance. «Honte à ceux qui continuent à soutenir ces partis lèche-bottes qui ne défendent pas les principes basiques de cette maudite démocratie: la durée de l'ANC est indéterminée maintenant et, pire encore, les membres de l'ANC peuvent faire partie du gouvernement en même temps», dénonce un jeune internaute. Des réactions qui en disent long sur l'état d'esprit des Tunisiens aujourd'hui et qui ne paraissent pas de bon augure pour une gestion saine de l'Etat avec des pouvoirs législatifs et exécutifs enchevêtrés les uns dans les autres. Avec des signaux aussi douteux, le nouveau gouvernement pourra-t-il rassurer et mobiliser les agents publics et assurer une gestion publique de qualité? La concentration des postes de ministre et député encouragera-t-elle la déconcentration de la gestion administrative au plus près de la vie des citoyens? Les nouveaux hauts fonctionnaires que projette de nommer le nouveau gouvernement dans les hautes fonctions administratives maîtrisent-ils les rouages de l'administration et sauront-ils manager au mieux les ressources humaines? Espérons que ce sera le cas pour le bien du pays, car lorsque nous voyons un député d'Ennahdha, président d'une commission, neveu du Cheikh Rached, et son beau-fils candidat à de hautes fonctions, sans parler de possibles autres liens de parenté que peut-être nous ignorons encore, nous ne pouvons nous sentir rassurés. Même si les compétences sont importantes, le rétablissement de la confiance dans les machines de l'Etat est aussi important dans la Tunisie d'aujourd'hui.