Certaines compagnies aériennes européennes opérant en Tunisie ont pris une décision unilatérale de réduire la commission payée sur la vente des billets par les agences de voyage. Cette commission de 9% passerait, à partir du 1er de juillet prochain à 7%. La Fédération tunisienne des agences de voyage est plus que jamais déterminée avec le soutien de sa base à aller jusqu'au bout pour défendre ses intérêts. Faisons d'abord l'état des lieux : la Tunisie compte actuellement environ 170 agences de voyages membres de IATA (International Air Transport Association), et presque autant qui ne sont pas reconnues par cette association. Le secteur emploie directement près de 5.000 personnes (et 3 fois plus d'emplois indirects), avec un chiffre d'affaires généré se situant autour de 165 MDT (en 2004). L'agence de voyages distributeur de billets n'a pas de statut juridique en Tunisie. C'est peut-être là une des clés du problème actuel, et sans doute pour le futur. Rappelons que les relations commerciales entre compagnies aériennes et agents de voyages ont connu une stabilité, presque parfaite, durant près de 60 ans. Ces relations étaient régies par le «Programme IATA des Agences» (ou IATA Agency) Programme qui, lui-même, est fondé sur : - Un contrat (Résolutions 824) - Un taux de commission (Résolution 016a, abrogée à partir de la conférence de Montréal de 1999). Dans le même ordre d'idées, il est à noter que «l'ancien régime» du commissionnement de base à 9% remonte au début des années 80, resté inchangé durant près de 15 ans. Quand les technologies se substituent à l'agent de voyages traditionnel ! Ce feuilleton qui secoue aujourd'hui la profession des agents de voyages tunisiens n'est pas le fruit du hasard, au contraire. En effet, l'historique de la suppression de la commission aux USA et en Europe a débuté dès 1995, les Américains ont amorcé une modulation de ce régime qui a permis aux transporteurs aériens américains de plafonner les commissions des agents américains à 50 dollars sur les vols domestiques (dont Delta Airlines et l'initiateur). En novembre 1998, ce fut l'introduction d'un plafond de 100 dollars sur la vente de transport aérien international. Réduites à seulement 5% en octobre 1999 jusqu'à fin 2001, les commissions de base verront le coup de grâce au début 2002 avec leur disparition pure et simple (commission zéro). Le marché européen va suivre le processus : les commissions passeront de 9 à 7% entre 1997 et 1999. Là également, 2001 va sonner le glas des commissions de base payées aux agences de voyages ; la SAS ouvre le bal en Scandinavie à partir de janvier 2003. Elle sera vite suivie par l'Irlande (1% de commissions en janvier 2003), Royaume-Uni (1% à partir de décembre 2003), l'Italie (1% en mars 2004), l'Espagne (2%, puis 1,5% et 1% effectif à partir du 1er juillet prochain). En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en France il n'y a plus de commissions de base depuis, respectivement, octobre 2004, et janvier dernier pour les autres. Si quelques marchés secondaires conservent encore un taux de commissions fragile, dans la majorité des marchés européens l'agent de voyages est désormais rémunéré quasi exclusivement par ses clients, à travers l'encaissement de frais de services (Service Fee). Revenons un peu en arrière pour dire que la crise a été consommée lorsque la conférence de Miami (juin 2002) s'est soldée par un échec suite au refus des grandes compagnies aériennes de considérer l'agent de voyages comme canal de distribution privilégié. Ceci étant, il y a quelque chose de paradoxal dans cette affaire, puisque l'agent de voyages assure encore aujourd'hui entre 70 et 80% des ventes de billets des compagnies aériennes. D'ailleurs, dans une note d'information confidentielle, datée du 31 mars dernier, on peut lire : «Résultats ventes Air France : satisfaction d'Air France quant aux résultats enregistrés sur le marché tunisien, consolidés par la contribution du circuit agréé tunisien , avec un taux de croissance des ventes qui a atteint +15%». Plus loin, concernant sa politique de commissionnement, «Air France estime que la réduction du taux de rémunération des agences est incontournable», à cause des coûts engendrés par le poste «carburant» avec un baril à 57 dollars US, et la mondialisation qui appelle à un nouveau modèle économique en matière de rémunération des agences. Toutefois, la raison profonde s'expliquerait par deux faits essentiels : - les compagnies aériennes considèrent que le canal traditionnel ou classique est devenu un lourd fardeau financier, donc une cible indiquée pour la réduction des coût (on estime à 2,5 milliards de dollars d'économies par an ; en Europe elles seraient de l'ordre de 1 milliards d'euros) ; - l'existence d'un canal de substitution : les nouvelles technologies de distribution, Internet (ou agences virtuelles), OPODO (Air France, Air Lingus, Alitalia, Austrian Airways, British Airways, Lufthansa, etc.). Des dommages collatéraux incalculables Mais est-il possible d'établir une comparaison entre les marchés américain, européen et tunisien ? Autant les potentialités, les structures, la concurrence, la pénétration des ventes par Internet et les produits sont grands et illimités en Europe, autant ils demeurent limités en Tunisie. Pourtant, les conséquences du décommissionnement sont lourdes aux Etats-Unis (disparition de 50% des points de ventes avec 5.000 emplois perdus) et en Europe (les prévisions tablent sur la disparition de 15 à 25% d'agences de voyages, et les recettes des ventes du circuit ont chuté de plus de 30% dans certains pays). Que dire alors pour la Tunisie ? Les «dommages» directs et collatéraux risquent d'affecter durement le secteur, miné qu'il est déjà par un régime fiscal astreignant, l'indigence du produit (le dossier Inclusive Tour est en veilleuse), et un système d'administration des agences déclaré hors la loi mais maintenu et durci sur des marchés sous-développés. Dans ce cas, c'est l'emploi qui risque d'en pâtir le plus, et l'éclatement du régime de rémunération devrait entraîné la disparition de 20% des agences de voyages, dans une première étape, et dans une seconde, les prévisions tablent sur 30 à 40%. Que faire ? La situation semble grave et délicate, puisque les compagnies aériennes européennes semblent vouloir utiliser le principe divisé pour mieux régner. A ce sujet, les compagnies en question auraient proposé une réunion d'urgence des 40 premières agences de voyages tunisiennes, pour le vendredi 13 mai. En attendant, les agents de voyages pris dans un mouvement de début de panique, et compte tenu de la position de la direction de la FTAV qui est prise entre le marteau et l'enclume : ne pas décevoir ses adhérents, d'une part, et ne pas mécontenter leurs clients européens. Mais ce n'est pas tout, puisqu'ils envisagent, également, d'en référer aux autorités «afin de sauver les emplois du secteur», considérant que la survie de plusieurs milliers d'emplois en dépend. L'avenir de tout un secteur semble être en jeu. Mais il y a une crainte, puisque depuis la nuit des temps, la raison du plus fort a toujours ou presque- triomphé. Dans le cas actuel, on a vu que lorsque les Américains ont imposé la commission zéro, les Européens ont suivi une année après, qui, à leur tour, veulent l'imposer en Tunisie.