La décision prise, le 27 juin 2012, par le président de la République, d'engager les procédures en vue de la révocation du gouverneur de la BCT, Mustapha Kamel Nabli, n'en finit pas de faire, comme on dit, couler beaucoup d'encore. On s'interroge surtout sur les motivations du chef de l'Etat. Voici quelques pistes. Qui restent des hypothèses, en l'absence d'une communication claire des gouvernants. Qu'est-ce qui a motivé réellement la décision du président de la République et du chef du gouvernement d'engager, le 27 juin 2012, les procédures devant amener au limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Kamel Nabli? Celle-ci doit être approuvée par la Constituante. Pour l'heure, ce limogeage s'expliquerait, à en croire la déclaration faite par le chef de l'Etat, le 7 juin 2012, sur une chaîne de télévision privée, par "le besoin de mettre en place une politique économique sous le contrôle du peuple et non celui de n'importe quelle autre partie». «La raison est en rapport avec la gestion de la Banque et la situation financière du pays de ces derniers mois», explique, de son côte, selon le site France 24, le porte-parole de la présidence, Adnen Mancer. Des explications qui ne nous conduisent pas toujours très loin, notamment pour savoir ce qui se cache derrière les propos avancés. En effet, que veut dire «une politique économique sous le contrôle du peuple»? Quelle est l'«autre partie» désignée par le président de la République? Que reproche-t-on à la gestion de la BCT et à la gestion financière du pays assurée par M. Nabli? Que signifie la référence au «peuple»? La présidence de la République avançant avec des paroles on ne peut plus sibyllines, nombre d'observateurs se perdent en conjectures. D'abord, faisons remarquer que le président de la République (c'est en effet essentiellement lui qui cherche à révoquer M. Nabli: il l'a annoncé depuis le début du mois de juin) et le gouverneur de la BCT n'ont pas, à ce qu'on sait, de «passif». Leurs chemins ne se sont pas croisés. M. Nabli a toujours occupé des fonctions «techniques» avant sa nomination à la BCT après le 14 janvier 2011. Universitaire de renom, il a été président de la BVMT (Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis), entre 1988 et 1990, et ministre du Plan et du développement régional (entre 1990 et 1995) avant d'aller à Washington pour devenir haut fonctionnaire à la Banque mondiale. M. Marzouki veut-il révoquer le gouverneur de la BCT parce qu'il veut effacer toute trace d'anciens responsables de la période ayant précédé la révolution du 14 janvier 2011? La référence faite au «peuple» dans sa déclaration citée plus haut renferme-t-elle cette motivation? Tout le monde sait que M. Nabli a été parmi les rares responsables à avoir dit non à Ben Ali concernant les attributions du ministère du Plan devenu après son départ, en 1995, un ministère du Développement économique et de la Coopération internationale. La BCT n'évolue pas dans un «univers fermé» Reproche-t-on à M. Nabli un «excès» au niveau de son désir d'indépendance de la BCT? L'homme ayant refusé que la politique monétaire soit soumise seulement à des préoccupations politiques. C'est-à-dire électorales? Là aussi, rien n'est sûr. Le gouverneur ayant déclaré que l'«indépendance n'exclut pas la coordination avec le gouvernement»; la BCT n'évoluant pas dans un «univers fermé» (La Presse de Tunisie du 17 juin 2012). Pour le chef de l'Etat, l'évocation d'une «politique économique sous le contrôle du peuple» veut-elle dire que la BCT pratique une politique libérale contraire aux intérêts du pays? Parce qu'à son sens, cette politique libérale répond à des dogmes instruits par un expert sorti d'une université américaine (l'Université de Californie)? Répondant, entre autres, à une rigueur dans la gestion de la politique monétaire. Certains ont parlé du désaccord de M. Nabli quant à l'adoption par le gouvernement d'une «politique inflationniste» consistant à adopter la politique de la «planche à billets» pour soutenir les dépenses publiques. Peut-être, mais tout cela il faudra le prouver! M. Nabli est-il à la BCT le seul maître à bord? Ensuite, cette économie libérale n'est-elle pas adoptée par pratiquement tout le monde aujourd'hui, y compris par ces des pays dits socialistes? Ne fait-elle pas, par ailleurs, l'objet de recommandations draconiennes pour quiconque veut s'essayer au commerce dans le monde? M. Marzouki reprocherait-il à M. Nabli d'avoir «mal géré» l'abaissement de la note de la dette de la Tunisie de deux crans par Standard & Poor's, survenue le mercredi 23 mai 2012? Le gouverneur de la BCT aurait-il dû réagir vite et plus énergiquement pour rassurer les milieux d'affaires? Là aussi, il n'y a que des suppositions. Il s'agirait, toutefois, de sillons qu'il faudra creuser pour parvenir à la vérité. Une vérité que l'on ne pourra connaître que plus tard. En laissant du temps au temps. Peut-être à l'occasion de la tenue de la séance de vote de la Constituante qui aura le dernier moment concernant le limogeage ou non de M. Nabli.