Sousse n'est pas bien différente des autres villes de Tunisie. On y observe une certaine sérénité. On y observe aussi pratiquement les mêmes réflexes. Les mêmes discours. Les mêmes travers. Les mêmes interrogations. Et les mêmes scènes On dit que si l'on veut tâter le pouls d'une ville, il n'y a qu'à demander l'avis d'un chauffeur de taxi. Nous l'avons fait en arrivant à Sousse le jeudi 22 novembre 2012. Vers 10 heures. Réponse de Bouraoui: «Labess!». Serein, notre homme affirme qu'il n'y a rien à signaler. «Cela ne va pas plus mal qu'hier. Comme cela ira de la même manière demain», souligne-t-il. Bouraoui le dit même s'il n'est chauffeur de taxi que depuis trois jours. Il vient de reprendre son travail après l'avoir abandonné un temps: il était sous contrat avec une agence de voyage. «Je reprendrai dans cinq mois lorsque les excursions reprendront», insiste-t-il. Notre chauffeur de taxi accepte de parler de tout sauf des touristes. «Ils sont fauchés», sourit-il. A peine 60 dinars pour toute une semaine dans le sud tunisien. «Ils sont plus radins que les Tunisiens», explique-t-il. Sur l'Avenue Habib Bourguiba, et à quelques mètres du Monoprix, qui est fermé depuis des années, le café-bar Le Claridge, trois Suédois, la cinquantaine, en sandales, short et chemise demi-manche, se sont installés à l'heure de l'apéritif dans la terrasse inondée par le soleil. «Ils font bien attention à leur poche» Ils ont pris chacun une bière. Mais sont allés chercher des pistaches chez le marchand de fruits secs situé dans une rue parallèle. Les pistaches sont posées sur une feuille de cahier d'écolier dans laquelle elles ont été emballées. Un marchand des environs, Imed, pense la même chose que Bouraoui: «Ils font bien attention à leur poche». Il poursuit: «C'est faux de dire que les touristes ne viennent plus dans notre pays. Tous les hôtels comptent des touristes. La saison d'été a été bonne. Mais les touristes ne sortent plus des hôtels à cause du «All Inclusive (Tout compris). Et lorsqu'ils le font, ils comptent leurs sous. Vous voyez ces Suédois, ils ne prendront que deux bières chacun». 12 heures 11. La Grande mosquée de Sousse à l'entrée de la médina. C'est l'heure de la prière du «Adhohr». Des personnes s'empressent pour gagner la salle de prière. Devant l'entrée quelques marchands ambulants vendent, sur des tables de fortune, des livres de Coran, des qamis (robes pour hommes), des pantalons, des parfums et des chapelets. Scènes bien ordinaires. Filtrant les entrées Ali, venu faire la prière, s'attarde, quelques minutes après, avec son ami Ezzeddine, dans un café des environs, pour parler de ce qui lui semble être la peur qui s'est emparée d'une vieille dame qui garde un mausolée de la ville de Sousse qui abrite la dépouille d'un saint de la ville. Cette vieille dame a fermé la porte aux visiteurs depuis quelques jours. Filtrant les entrées. Le débat s'engage, à ce propos, sur le saccage de certains mausolées à Tunis, à Zaghouan et à Gabès. «Dommage», regrette Ali, qui a passé toute son enfance dans une rue de la Médina abritant un saint. «Je goûtais, au cours des offrandes faites par les fidèles le vendredi, à la viande qui manquait cruellement ce temps-là à la maison», se souvient-il. En concluant ainsi: «De quel droit s'attaque-t-on à des hommes pieux qui ont consacré leur vie à enseigner les préceptes de l'islam et l'amour de l'autre?». La quarantaine, chemise bleue et jean délavé, Ezzeddine évoque, pour sa part, un autre sujet: le laisser faire qui s'installe dans sa ville. Il donne un exemple: ces marchands de fruits secs qui portent concurrence à nombre de commerçants de la ville. Il explique: «En plein centre-ville, un «glibetier» vend non seulement des fruits secs, mais aussi des journaux, des lignes de GSM, des téléphones portables, des cigarettes, des fournitures scolaires, des gants de toilettes, des lunettes de pacotille, du café, des fruits et légumes Il a même vendu des peaux de moutons le jour de l'Aïd. Tout cela dans à peine six mètres carrés». A l'en croire, le désordre est installé partout. Et c'est avec une certaine précision qu'il vous parlera de la gabegie qui s'est emparée du secteur privé. Celui-ci était par le passé préservé. Ce n'est plus le cas. «Je suis allé récemment boire un café dans un hôtel de la ville, fait-il remarquer. Le serveur sentait mauvais, avait une barbe de quelques jours et se pressait très lentement», ironise-t-il. Avant d'ajouter: «Et gare à celui qui lui fera une remarque, il se fera pratiquement insulter. Ce que les employés veulent aujourd'hui c'est de faire à leur tête tout en demandant sans cesse plus. Dans quelle ère vivons-nous?» «C'est un fellag!» Au sortir de la ville de Sousse et sur la longue route touristique qui vous mène tout droit à la ville de Hergla, et sur un terrain du domaine public, à l'abri des regards, un homme d'une trentaine d'années a installé un drap sous un olivier et une double échelle. Il fait la cueillette des olives. Un autre homme, plus jeune, l'accompagne et l'aide en ramassant les olives que le premier arrive à faire tomber en secouant les branches. «C'est un fellag!», insiste Mouldi, un employé d'un hôtel, qui attend tranquillement qu'un taxi collectif se charge de l'emmener au centre-ville. «C'est courant, précise-t-il. Tout le monde se saisit comme il veut du bien public. A la différence des autres, au moins ce monsieur travaille. Les autres volent», ajoute-t-il crument. Dans la salle d'attente de la gare des chemins de fer qui vous emmène à Tunis, un autre spectacle courant vous interpelle. Un jeune homme, apparemment bien portant, «distribue» des photocopies de «textes de prières» aux passants. Aussitôt fait, il s'attarde pour exiger son «dû». Et si vous lui donnez une somme qui ne lui convient pas, il vous regarde bizarrement. En vous signifiant par un geste qu'il n'est pas bien content.