Le chiffre fait froid dans le dos: 100.000 élèves du secondaire et du primaire de l'école tunisienne seraient contraints d'arrêter leurs études. 10.000 d'entre eux le font entre la 5e et 6e année primaire. Cet incroyable chiffre se perd entre les fausses polémiques sur l'identité tunisienne et un énorme vacarme autour de la dissolution de l'ANC et de la démission du gouvernement. Il ne mobilise ni les politiques ni les medias. Alors que les premiers se livrent une guerre sans merci pour gagner les éventuelles futures élections, et par voie de conséquence pouvoir éventuellement changer cet état de choses, les pouvoirs publics, éreintés par plusieurs années de marginalisation et de manque de concertation doublé d'hypocrisie, sont plombés par le manque de moyens et l'absence d'une vraie stratégie sur l'avenir de l'école tunisienne. Pour le moment, quasiment seule la société civile se mobilise. Elle tente d'aider et soutenir via plusieurs actions et associations, afin d'arrêter cette hémorragie scolaire. De nombreuses associations comme African, le Rotary et d'autres aident à l'éducation, à l'achat des fournitures scolaires, à l'encadrement d'enfants en difficulté Echec et échec forcé Mais commençons par comprendre combien de formes d'échecs y a-t-il. Quels en sont les raisons? Comment se positionne la Tunisie par rapport au reste de la région voire du monde? Peut-on encore parler du «miracle» de l'école tunisienne? Pour l'institution scolaire, il y a deux formes d'abandon scolaire: l'abandon légal (exclusions, dépassement de l'âge maximal autorisé pour le niveau atteint, le renvoi, les comportements antisociaux ) et l'abandon scolaire spontané, s'agissant d'élèves qui ne sont pas exclus de l'école mais qui ont préféré -ou sont obligés- pour diverses raisons, d'en quitter les bancs. Fournitures scolaires, frais d'inscription, l'assurance Pourquoi les enfants abandonnent les classes pour aller rejoindre la masse des analphabètes adultes? Au commencement, il y a la pauvreté qui rend les foyers incapables de subvenir aux besoins scolaires de leurs enfants. Le taux de pauvreté en Tunisie, qui atteint en 2011, selon diverses sources, 25% de la population, explique bien cela. Face à la pauvreté, le choix est vite fait. L'enfant devient source de revenus et non plus de dépenses et il est mis au travail dès son plus jeune âge. En témoigne le nombre croissant des enfants qui travaillent dans l'illégalité (le travail des enfants moins de 16 ans est interdit) dans les secteurs de l'agriculture, de l'artisanat, dans les ateliers de mécanique et dans la rue. Au jour d'aujourd'hui, il est encore difficile de dire combien d'enfants travaillent dans l'illégalité et font l'objet d'exploitation. Les chiffres sont inexistants. Ante 14 janvier, les statistiques constituaient un point délicat et étaient souvent censurées. Aujourd'hui, il semble qu'une prise de conscience commence à s'opérer dans le pays et diverses tables rondes et journées de sensibilisation ont été mises au point mais malheureusement sans une vraie stratégie aussi bien contre la lutte du travail des enfants ni celui de l'abandon scolaire. Ceci dit, selon les données récentes, 100.000 élèves, dont 10.000 dans les écoles primaires, ont interrompu leur scolarité, pendant l'année 2012-2013. Du jamais vu dans le pays depuis plus de 50 ans! Hédi Saïdi, directeur général des études et de planification au ministère de l'Education, a qualifié les récents chiffres d'«alarmants». Tout porte à croire que la tendance n'est pas prête de tomber au vu de la crise économique et de paupérisation qui frappe le pays en ces temps de transition démocratique difficile. A titre indicatif, en 2009, 69.000 enfants tunisiens ont quitté l'école. La réussite de l'école tunisienne? Bien que d'importants efforts aient été consentis depuis les années 1960 en matière d'éducation en Tunisie, il est temps de regarder autrement et au delà de s'en réjouir principalement la réussite de l'école tunisienne. Au delà de la qualité de l'enseignement, c'est déjà son accès qui est loin d'être égal pour tous. Garçons et filles ne sont pas logés à la même enseigne. Les premiers sont bien entendu privilégiés. Les familles choisissent de sacrifier plus facilement les filles par les milieux sociaux surtout limités. De façon plus générale, les enfants vivant en zones rurales restent les moins scolarisés. Si la déscolarisation n'est pas seulement imputable au travail des enfants et à l'éloignement des écoles, il relève de l'interaction de plusieurs facteurs économiques, sociaux et culturels. Avec le nouveau fond de crise ou de «fausse» crise identitaire, la situation est en passe de devenir encore plus dangereuse. Depuis la révolution, l'expansion de nouveaux modèles de vie axés sur une extrême religiosité pour ne pas dire forme de fanatisme, les familles nécessiteuses et l'enfance se retrouvent au centre d'une nouvelle guerre qui ne dit pas son nom. Les outils en sont des associations soi-disant caritatives qui incitent les plus fragiles et démunis à déscolariser surtout les filles, en évoquant des arguments «religieux». Lassaad Yaacoubi, secrétaire général du syndicat de l'enseignement secondaire, a déclaré il y a quelques jours sur une chaine radio, que certaines associations mettent en avant l'interdiction religieuse de la mixité. Et la loi dans tout ca ? Dans le Code tunisien de protection de l'enfance, l'article 20 considère que: «l'exposition de l'enfant à la négligence et au vagabondage (paragraphe b), le manquement notoire et continu à l'éducation et à la protection (paragraphe c), le mauvais traitement habituel de l'enfant (paragraphe d), l'exposition de l'enfant à la mendicité et son exploitation économique (paragraphe g)», sont tous des formes de maltraitance de l'Enfant. Définie comme telle, la maltraitance englobe donc l'abandon scolaire. Maltraiter un enfant n'est pas seulement lui faire subir des violences physiques ou sexuelles, mais c'est aussi ignorer son existence, négliger ses besoins, lui imposer des rythmes et des limites disproportionnées par apport à sa réalité d'enfant, et ce qu'il est réellement D'où l'urgence de mener campagne contre toutes formes d'exclusion, de maltraitance, de manipulation et d'endoctrinement. D'où l'extrême urgence de mettre sous le coup de la loi les associations et toutes formes dérivées qui détournent sciemment un enfant de son devoir: s'instruire, apprendre, se former, se sociabiliser Les solutions contre l'abandon scolaire existent et elles sont nombreuses. Pour cela, il faut se donner les moyens de les mettre en place. Jusqu'à ce jour, c'est la réelle volonté politique de corriger le processus de l'école publique tunisienne qui a dévié sur ces quinze dernières années qui fait défaut. La révolution est une occasion en or pour remettre les pendules à l'heure et faire en sorte que la Tunisie récupère son engagement envers ses enfants. Pour le moment, les constats sont plus qu'amers. L'école ne remplit plus sa mission, les professeurs et maîtres ont de moins en moins le sens de l'engagement et peu de vocation. Les enfants ne sont plus que des numéros qui passent de classe en classe, accumulent les lacunes, et en les passant avec des niveaux insuffisants, l'école se transforme en garderie afin d'éviter aux plus chanceux la rue. Les parents portent aussi une part de responsabilité mais ça c'est un tout autre débat! Qui éveille les enfants au rôle de l'école? Quelle approche pratique-t-on vraiment aujourd'hui? Comment convaincre et donner de l'espoir à des enfants et adolescents de finir et opter pour un cursus quand c'est le chômage à l'arrivée qui attend en grande pompe?