A défaut de quorum, l'examen de la fameuse loi 56/2014 portant création de la Société tunisienne de gestion d'actifs (STGA), connue sous la dénomination Assets Management Company (AMC), a été reportée, par l'Assemblée nationale constituante à une date ultérieure. Beaucoup de zones d'ombre entourent ce report. Eclairages. Selon cette loi, l'AMC a reçu pour mission de «racheter les crédits accrochés auprès des banques et des sociétés de recouvrement et de restructuration des entreprises endettées, dans le but de renforcer leur rentabilité et leur réinsertion dans l'économie». Il s'agit d'une société anonyme au capital de 150 millions de dinars que l'Etat détiendra en totalité et dont la durée de vie sera de 12 ans. Un mot sur cette dette des hôteliers. Son montant global est estimé par le président de la Fédération tunisienne de l'hôtellerie (FTH), Radhouane Ben Salah, à 3,8 milliards de dinars, dont 2,8 milliards de dinars sont considérés comme étant en bonne voie de remboursement échelonné, alors que 1 milliard de dinars sont classés comme étant irrécouvrables. Pour mémoire, cette loi sur l'AMC a été fortement contestée par les hôteliers concernés qui lui reprochent trois choses. Cette loi est non constitutionnelle en ce sens où elle viole le droit à la propriété. Elle est injuste, car elle donne des pouvoirs absolus à l'AMC sans possibilité de recours à la justice pour les hôteliers concernés. Enfin, son timing est douteux. Il servirait, selon les hôteliers, les intérêts d'éventuels acquéreurs étrangers, particulièrement suisses et qataris. Le report de l'examen de cette loi est perçu par certains analystes (pressés) «comme une victoire des hôteliers». Pourtant, à y regarder de près, la responsabilité de ces hôteliers dans leur surendettement est totale. Des hôteliers clientélisés Le président de la FTH le reconnaît. Dans une récente interview accordée à une radio privée dans le cadre d'une campagne féroce menée contre ce projet de loi, il ne nie pas «l'existence de certaines mauvaises gestions, voire des malversations de la part de quelques promoteurs qui profitent des crédits bancaires à des fins purement personnelles, plus communément l'achat d'une voiture luxueuse et d'un logement de standing». Ben Salah impute «cet enrichissement sur investissement» au manque de professionnalisme des hôteliers concernés. Pour lui, le problème réside dans le fait que «de nombreux agréments ont été accordés à de jeunes promoteurs qui ne connaissent rien du milieu et qui ne disposent pas de la solidité financière minimale. Ces derniers, selon lui, finissent rapidement d'entrer dans la spirale de l'endettement qui devient du surendettement si l'on sait le taux d'intérêt assez élevé imposé par les banques qui n'accordent que 13 ans d'échelonnement des crédits alors que, normalement, pour espérer une meilleure solvabilité, ces crédits devraient être remboursables sur 20 voire 25 ans et assortis d'un taux d'intérêt plus bas». Les hôteliers concernés sont, ainsi, en faillite parce qu'ils ont, tout simplement, mal géré à tous les stades leur unité: négociation à la hâte des crédits, mauvaise gestion du chantier, mauvaise exploitation de l'hôtel, tendance fâcheuse à expatrier une partie des recettes en devises (une partie des recettes est versée par les TO dans leurs comptes à l'étranger)... Et la liste des dysfonctionnements et contreperformances est loin d'être finie. "La faillite des entreprises est un phénomène courant partout dans le monde..." Du reste, la faillite des entreprises est un phénomène courant partout dans le monde. En Tunisie, par l'effet du lobbysme et de l'enchevêtrement des intérêts entre le politique et le monde des affaires, on a tendance à ignorer cette vérité économique et à sauver à tout prix les canards boiteux. Moralité: le non-dit dans cette affaire de l'AMC est d'ordre politique. Tous les intervenants refusent d'admettre que ces hôteliers étaient des mauvais gestionnaires parce qu'ils étaient, tout simplement, des «clientélisés», voire des chouchous -protégés par un système clientéliste. "le crédit est le lieu privilégié où s'alimente matériellement le clientélisme, c'est là que la manipulation de l'économie par la politique atteint son paroxysme". Pour réaliser leurs projets, ces hôteliers incompétents et sans savoir-faire ont profité des facilités d'accès au crédit bancaire que favorisaient le clientélisme, le népotisme et le régionalisme au temps de Bourguiba, de Ben Ali et de la Troïka, et ce non pas pour monter une affaire (ce qui était déjà une chance et un privilège) mais pour user et abuser. Dans son livre le syndrome Bourguiba, le socio-économiste Aziz Krichen signalait qu'au temps de Bourguiba, «le crédit est le lieu privilégié où s'alimente matériellement le clientélisme, c'est là que la manipulation de l'économie par la politique atteint son paroxysme». Beatrice Hibou, chercheuse française, lui emboîte le pas et écrit dans le même sens dans son essai La force de l'obéissance, économie politique de la répression en Tunisie: «le système de gestion des prêts en Tunisie repose avant tout sur le nom et la réputation et inversement sur l'absence d'analyse du risque et d'analyse de gestion». "Le report de cette loi serait le résultat du lobbysme que certains hôteliers airaient exercé sur certains députés pour qu'ils s'absentent..." C'est pour dire au final, il n'y a rien d'étonnant à ce report de l'examen de cette loi sur l'AMC en raison de l'absence artificielle de quorum à l'Assemblée nationale constituante. Le clientélisme est, hélas, toujours en vigueur. Il est le fruit des services échangés entre les clientélisés (hôteliers véreux en l'occurrence) et les clientélistes, députés daechistes et apatrides, à la recherche de logistique pour mener leur campagne électorale. En plus clair encore, le report de cette loi serait le résultat du lobbysme que certains hôteliers airaient exercé sur certains députés pour qu'ils s'absentent et fassent en quelque sorte qu'il n'y ait pas de quorum. On l'aura dit. Articles en relation :
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