La complémentarité démographique est-elle possible ? Par Moncef MAHROUG
Alors que l'Europe est «déficitaire» démographiquement depuis 2005, le Maghreb est et restera encore «excédentaire», même si un pays comme la Tunisie a entamé sa transition dans ce domaine. Toutefois, la complémentarité, c'est-à-dire la compensation du déficit européen par l'excédent maghrébin ne sera pas automatique. Car l'Europe a la possibilité d'accéder à d'autres sources d'«approvisionnement» en travailleurs immigrés. Peut-il y avoir complémentarité démographique entre les deux rives de la Méditerranée ? Certains intervenants lors de l'Université d'été de l'Association Mohamed Ali pour la Culture Ouvrière le pensent, dont Mahmoud Benromdhane. Mais le Coordinateur scientifique de l'Université d'été doute que l'Europe ait besoin de flux migratoires «indistincts». Avec Philippe Farde, il soutient qu'il est possible de mettre en place une immigration pendant 1 à 3 ans», et qu'il s'écoule également près de trois ans entre l'entrée du jeune sur le marché de l'emploi et son mariage. Donc, l'Europe n'a pas besoin d'un «flux migratoire indistinct», mais d'un apport de «population d'âge actif jeune». De plus, cette population ne devrait pas rester dans le pays d'accueil, car «l'idéal pour l'Europe est un flux de population à renouvellement», recommande Mahmoud Benromdhane. Scénario convenant aussi aux pays du Maghreb qui, certes, ont besoin d'emplois, notamment pour leurs jeunes diplômés de l'université, mais seraient gravement pénalisés par un départ définitif de cette frange de leur population, qui deviendrait un véritable «brain drain» (exode de cerveaux). Néanmoins, il n'est pas sûr que ce scénario idéal soit souhaité ou accepté par l'Europe, donc qu'il puisse être concrétisé. Car, averti Jacky Fayolle, directeur de l'Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES, France), «quand on réfléchit aux complémentarités entre l'Europe et le Maghreb (sur le plan démographique, ndlr), la manière de les envisager n'est pas indépendante de la géopolitique». En clair, qu'«on ne peut se trouver dans une configuration où l'Europe satisfait ses besoins en flux migratoires sans recourir au Maghreb», c'est-à-dire en puisant le complément démographique dont elle a besoin à d'autres sources. L'Europe pourrait également renoncer à son modèle de développement basé sur une forte croissance nécessitant le recours à l'«importation» de travailleurs étrangers en nombre de plus en plus important, pour une faible croissance qui n'entraîne pas une telle contrainte. Certes, il existe «un potentiel de complémentarité» entre l'Europe et le Maghreb dont la concrétisation pourrait se faire grâce à l'investissement de l'épargne européenne dans les pays du Maghreb. Mais outre que ces pays doivent garantir les conditions d'une «utilisation efficace» de cette épargne européenne, le flux d'investissements européens «n'est pas destiné exclusivement au Maghreb», observe Jacky Fayolle, puisque d'autres destinations, comme les Etats-Unis, beaucoup plus attractives, pourraient capter ces capitaux européens.