Nous avons montré dans un précédent article que l'entreprise est un système complexe en mutation perpétuelle, qui intègre ses acteurs, et qui change de position d'équilibre sous l'impulsion de ceux-ci, pour s'adapter à son environnement externe et développer son potentiel de réalisation. Ainsi, pour franchir de nouveaux seuils de performance, l'entreprise doit simultanément formuler la bonne stratégie, et pousser plus loin les limites de son potentiel de réalisation. La notion de limite, sous jacente au potentiel de réalisation vient du fait que tout système est limité, et que pour aller au-delà d'un certain niveau d'activité (transformation des flux), il y a lieu de modifier le système lui-même. On cherche souvent à traduire ce potentiel de réalisation, combien même intangible, en valeur économique. C'est par exemple le prix qu'est prêt à payer un investisseur pour acquérir les actions d'une société, ou encore, les fonds qu'une Start up est capable de lever grâce à une idée, un modèle économique et une équipe projet (sans pour autant avoir réalisé un chiffre d'affaires). Le potentiel de réalisation a trait donc au futur, et la manière de concevoir celui-ci. Pour être plus précis, nous proposons de définir le potentiel de réalisation comme une combinaison de capabilités, dont les principales sont la capabilité cognitive et la capabilité organisationnelle. Nous consacrerons cet article à ce que nous appelons la capabilité cognitive, et son rôle dans la formulation stratégique. La notion de capabilité organisationnelle ayant déjà fait l'objet de plusieurs publications. Pour l'entreprise, la capabilité cognitive couvre la capacité à voir, la capacité à comprendre et enfin la capacité à choisir sa destinée'. Elle relève de l'intelligence humaine. Le rôle du chef d'entreprise n'est pas de se prévaloir de cette intelligence, mais de la stimuler et faire de sorte à ce que l'intelligence collective soit disponible et au service de son organisation afin d'élaborer la stratégie la plus pertinente et d'assurer les meilleures conditions pour sa réalisation. La capacité de voir, rejoint la notion de vision prospective. Il ne s'agit de voir et déchiffrer le présent uniquement, mais lire le futur à travers les réalités du présent. Comprendre est à considérer ici par rapport à des schémas logiques façonnés par l'expérience et le vécu. Il sous-entend une mémoire d'entreprise et une capacité d'apprentissage collective. Choisir est l'ultime acte intelligent' car il prouve la capacité de l'entreprise à se projeter dans le futur et de prendre les décisions qui permettent d'atteindre de nouveaux seuils de performance. Choisir est une décision stratégique dès lors qu'elle émane de la connaissance des enjeux, des risques et du champs du possible. Un choix dicté par le hasard ou sans connaissances de cause, ne constitue pas un acte « intelligent » car dépourvu de motivation stratégique. Développer sa capabilité cognitive permet concrètement à l'entreprise de se positionner dans la chaîne de valeur, en captant les flux nécessaires à sa réalisation, et en identifiant les sources d'avantages compétitifs dont elle peut tirer profit aujourd'hui et demain (voir figure 1).
En pratique, la capabilité cognitive est de plus en plus illustrée par des projets tels que la veille intelligente, le Knowledge Management, la gestion des compétences, etc. L'objectif de ces projets n'est pas de faire du capital immatériel une description exhaustive ou de le mesurer à l'aune d'outils sophistiqués, mais plutôt de relier la performance humaine à la stratégie, et d'augmenter la cohérence et cohésion du groupe, de sorte que l'intelligence collective soit supérieure à la somme des intelligences individuelles. Cette capabilité cognitive, mobilisée et combinée à d'autres actifs immatériels, tels que la maîtrise technologique, l'innovation, l'interconnexion inter-entreprises et le travail en réseau produit un positionnement fort dans la chaîne de valeur et place l'entreprise dans les meilleures conditions pour choisir sa destinée faces aux forces concurrentielles qui agissent sur elle et son environnement. Comme l'équilibre est précaire, à peine atteint, l'entreprise doit penser à conquérir de nouveaux champs, réorienter son positionnement et rehausser son niveau d'intégration dans la chaîne de valeur, afin de générer un niveau de marge supérieur (profits tangibles) et valoriser son potentiel de réalisation (profits intangibles). D'où le recours au tableau de bord prospectif, qui permet d'évaluer le potentiel de réalisation de l'entreprise et le relier à la stratégie. Il constitue en cela un outil décisionnel pour élaborer des hypothèses stratégiques et mobiliser les actifs immatériels afin de produire des propositions qui soient créatrices de valeur pour le client.