Après les oléiculteurs et éleveurs de Tataouine, c'est au tour des agriculteurs kairouanais de clamer haut et fort leurs préoccupations des menaces que fait peser, sérieusement, la sécheresse sur leur cheptel, cultures maraichères et arboriculture fruitière. Dans ce gouvernorat retenu parmi les régions les plus affectées par la sécheresse, l'eau destinée à l'irrigation se fait rare. Pourtant, cette région, contrairement à d'autres, est dotée d'importantes nappes phréatiques et de grands barrages : Nebhana, Houareb et Sidi Saad. D'une capacité totale de 330 millions de mètres cubes, ces ouvrages hydrauliques n'en retiennent, actuellement, que 44 millions dont seuls 8 millions de mètres cubes d'eau peuvent être exploités dans l'irrigation. Le pompage des eaux des barrages à des fins d'irrigation est parfois suspendu. Et même quand ce pompage est autorisé, l'eau tirée n'est pas conseillée. Elle présente un fort taux de salinité. Celui de l'eau du barrage Sidi Saad est estimé à 4 grammes par litre. Même la nappe phréatique n'est plus accessible avec les forages actuels de 30 mètres de profondeur. Il faudrait désormais forer à une profondeur de plus de 70 mètres pour puiser l'eau. Conséquence : les forages deviennent automatiquement plus coûteux au moment même où l'agriculture, par l'effet de la sécheresse, devient peu rémunératrice. C'est pour dire qu'à défaut de disponibilité de ressources en eau en quantités suffisantes, toute intention d'investissement est compromise. Cette situation n'est pas une surprise Il faut dire que cette situation est loin d'être une surprise. Depuis 2006, des études menées par des climatologues de l'Association tunisienne des sciences de la mer (ATSM) et de celle des changements climatiques et du développement durable (2C2D) ont lancé des cris d'alarme. Ces études rejoignent le rapport du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), pour avancer que l'impact du changement climatique sur la Tunisie sera particulièrement cauchemardesque. Ce réchauffement se traduira par l'émergence de phénomènes climatiques extrêmes : plus de canicules, plus de crues et plus de vents. Pis, ces phénomènes peuvent se manifester concomitamment. Par région, le sud du pays sera le plus affecté par le réchauffement du climat. Dans cette région, les températures annuelles seront en hausse, les précipitations diminueront et les années de sécheresse seront plus fréquentes. Pour le centre et le nord du pays, la situation serait moins grave. Les symptômes seront certes les mêmes (baisse des précipitations, plus de sécheresse et élévation de températures), mais seront supportables, du moins jusqu'à la saison des pluies. Par secteur, c'est l'agriculture qui pâtira le plus des modifications du climat. De sérieuses conséquences sur les ressources en eau, les écosystèmes, les agro-systèmes (production oléicole, arboriculture, élevage, grandes cultures) ne sont pas à écarter. La pression sur les ressources en eau sera majeure. Les nappes phréatiques, littorales, aquifères non renouvelables, diminueront de 28% en 2030, les eaux de surface baisseront de 5% au même horizon, la diminution des précipitations estivales augmentera le manque hydrique du sol. Concernant les écosystèmes, le risque de grands incendies va s'accroître au nord. Une dégradation du sol et des ressources naturelles est également prévisible. Les agro-systèmes (cultures irriguées, élevage et cultures oasiennes) souffriront à leur tour de ce changement de climat. La production oléicole et l'arboriculture en sec accuseront, en période de sécheresse, une baisse de 50%, l'équivalent de 800.000 ha pour l'arboriculture non irriguée. En période de pluviométrie favorable, ces deux activités augmenteront de 20%. L'élevage s'en ressentirait également. Le cheptel (bovins, ovins et caprins) baissera jusqu'à 80% au centre et au sud et de 20% au nord. Durant les années de pluviométrie favorable, l'élevage bénéficiera d'une hausse de rendement à concurrence de 10%. Au chapitre de la céréaliculture, les superficies céréalières du centre et du sud connaîtront, durant des années de sécheresse successives, une baisse de 200.000 hectares. En cas d'inondations, des baisses de la production céréalière, en irrigué risquent d'occasionner 13% de pertes aux proches horizons de 2016 et 2030. Durant les années à pluviométrie favorable, les cultures pluviales (céréales) bénéficieront d'une augmentation de rendement pouvant dépasser les 20%. La solution : acheminer les eaux du nord Pour faire face à une telle menace, les experts sont unanimes. Ils suggèrent les grands moyens, voire de mégaprojets hydrauliques devant acheminer les eaux du nord vers le centre et le sud du pays. Il s'agit tout simplement de prolonger le canal Medjerda en direction du sud du pays d'autant plus que le plus net des eaux de cet oued est déversé dans la mer. Les excédents des barrages du nord sont estimés à plus de 500 millions de mètres cubes. Autre solution proposée par les experts, l'accélération du processus du raccordement des barrages et des nappes phréatiques du pays dans le sens nordsud. Le mot d'ordre est désormais à la mobilisation générale pour retenir toute goutte d'eau qui tombe et pour en faire le meilleur usage possible.