Le dernier incident au Parlement, causé par Seïf Eddine Makhlouf a fait remonter à la surface, les appels à retirer la confiance à Rached de la présidence de l'Assemblée. Les démarches sont déjà entamées, par quatre blocs parlementaires. La machine est en marche pour évincer le chef du mouvement Ennahdha. Pour motivation, ses multiples transgressions du règlement et sa mauvaise direction de l'Assemblée.
Le président du mouvement Ennahdha a tant bataillé pour accéder à la présidence du Parlement. Un poste qu'il a convoité et a fini par obtenir. Cependant, le chef du mouvement islamiste n'arrive pas à se défaire de son rôle de chef de parti et exerce ses fonctions en tant que tel au sein du Parlement. Sa gestion du Parlement ne fait pas l'unanimité et les multiples violations ont été rapidement pointées par les partis politiques représentés au Parlement, en l'occurrence, le PDL et Attayar.
Les premières dénonciations ont commencé à la suite de la nomination de Habib Khedher en tant que chef de cabinet de Rached Ghannouchi le 8 décembre 2019. Sa nomination n'a été annoncée qu'à la suite d'une correspondance adressée par Abir Moussi à la présidence du Parlement revendiquant des justifications de la présence de l'ancien élu d'Ennahdha, Habib Khedher aux réunions fermées, et ce sans statut légal.
D'autre part, le bloc démocrate a annoncé le 11 mai 2020, avoir déposé une requête portant annulation de la décision administrative de délégation de signature faite par Rached Ghannouchi en faveur de son chef de cabinet et neveu, Habib Khedher, lui permettant de signer tous les documents internes à l'exception des décisions à caractère procédural. Cette délégation de signature entrée en vigueur le 7 décembre 2019, lui donne effet rétroactif. Ainsi, les députés du bloc s'interrogent si le chef de cabinet n'aurait pas signé des documents à la place de Rached Ghannouchi, bien avant la décision de délégation.
Par ailleurs, le bloc parlementaire a tenu à préciser que cette délégation a été décidée en vertu du décret n° 75-384 du 17 juin 1975, autorisant les ministres et secrétaires d'Etat à déléguer leur signature. Or, le président du Parlement n'est ni un ministre, ni un secrétaire d'Etat pour qu'il puisse déléguer sa signature, indique le bloc démocrate ajoutant que l'article 50 du règlement intérieur permet au président de l'assemblée de déléguer certaines de ses prérogatives, exclusivement, à ses vice-présidents et non à son chef de cabinet. Jugeant cette délégation de signature contraire aux dispositions de l'article 50 du règlement intérieur, tout comme le décret n° 75-384 du 17 juin 1975, le bloc démocrate a intenté un recours auprès du Tribunal administratif, pour le report et l'arrêt d'exécution de cette décision du président du Parlement.
Une autre transgression vient s'ajouter sur le compte du bureau de l'assemblée présidé par Ghannouchi, le rejet de l'examen de la motion sur le classement des Frères musulmans, déposée par le PDL de Abir Moussi. Cette décision est illégale et constitue un dépassement flagrant de l'article 141 du règlement intérieur. En effet, le bureau de l'assemblée n'a pas le droit de discuter la motion quel que soit son contenu. Outre les multiples dépassements du règlement intérieur, à l'instar de l'empêchement des blocs parlementaires de présenter des propositions d'amendement aux projets de loi avant de les soumettre aux plénières ou encore la gestion des séances plénières et l'octroi des points d'ordres.
Mais ce n'est pas tout ce qu'on reproche à Rached Ghannouchi, ses relations extérieures douteuses et ses actions « diplomatiques », notamment, avec la Turquie et la Libye, ont été vivement critiquées. D'ailleurs, cela lui a valu une séance d'audition qui s'est poursuivie jusqu'à l'aube. Une première dans l'Histoire de la Tunisie où le chef d'Ennahdha avait essuyé une longue série d'interventions virulentes contestant ses rapports avec la Turquie, sa gestion, loin d'être neutre du dossier libyen, et son ingérence dans la diplomatie, prérogative exclusive du président de la République.
Cependant, le dernier scandale qui a eu lieu, avant-hier, au Parlement, à la suite du passage en force du chef du bloc Al Karama, Seïf Eddine Makhlouf a été la goutte qui a fait déborder le vase. Seïf Eddine Makhlouf a dépassé les agents de la Garde présidentielle, en introduisant, un visiteur à l'hémicycle bien qu'il ait été interdit. Aidé en cela par le chef de cabinet Habib Khedher, la démarche vers l'éviction de Rached Ghannouchi a été remise en marche.
Ainsi, quatre groupes parlementaires ont entamé les procédures de retrait de confiance au président de l'Assemblée des Représentants du Peuple Rached Ghannouchi, suite à un réunion tenue samedi, entre le bloc démocrate, le bloc de la Réforme nationale, de Tahya Tounes et le bloc national. Le porte-parole d'Attayar a épinglé la transgression par ce qu'il nomme " la Troïka parlementaire", en allusion à la "coalition" Ennahdha-Al Karama-Qalb Tounes, de l'article 13 du règlement intérieur de l'ARP organisant les activités du Parlement. Dans ce sens, il a évoqué la commission d'enquête sur les suspicions de conflit d'intérêts liées au chef du gouvernement. Cette commission s'est réunie trois fois avant même que sa création ne fût annoncée en plénière, conformément à l'article 66 du règlement intérieur. Les quatre groupes parlementaires dénoncent les agressions commises à l'encontre des femmes au sein du Parlement et affirment leur entière solidarité avec la députée Meryem Laghmani.
Force est de constater que la situation sur la scène politique nationale est plus que tendue. Avec le forcing du mouvement Ennahdha pour éjecter le chef du gouvernement, les autres partis tentent de faire pression en voulant destituer Rached Ghannouchi de la tête du Parlement. Une revendication initialement lancée par la présidente du PDL, Abir Moussi qui aura un impact important sur la suite des évènements en Tunisie. Si la motion de retrait de confiance à Ghannouchi passe, elle constituera le coup de grâce pour le chef du mouvement islamiste, ainsi qu'un nouveau tournant dans l'équilibre des forces sur l'échiquier politique. Ennahdha a toujours réussi, jusqu'à présent, à sortir des situations les plus complexes. Quel subterfuge trouvera le parti, cette fois-ci, pour esquiver cette offensive directe?