Ces dernières années, le 25 juillet est devenu une journée de plus en plus singulière dans la vie de chaque Tunisien. Fête de la République, fêtée différemment chaque année en fonction du pouvoir politique qui est en place. Assassinat tragique de Mohamed Brahmi, toujours non élucidé et de plus en plus timidement commémoré. Décès du - à la fois critiqué mais ô combien adulé par les foules - président Béji Caïd Essebsi. Cette année, en plus de ces nombreux événements à fêter (chacun à sa manière) et à commémorer (paix aux âmes des défunts), Kaïs Saïed a eu droit, lui aussi, à son petit moment de gloire.
Une soirée entière durant laquelle les Tunisiens, observateurs de la scène politique, étaient pendus aux lèvres de Kaïs Saïed - ou plutôt de sa page Facebook - attendant enfin le nom de l'heureux élu. Kaïs Saïed a su nous faire languir et se faire désirer. Comme toute courtisée qui se respecte, il est allé jusqu'au bout, a su faire attendre ses courtisans pour, au final, réussir à les surprendre. Des tentatives de séduction et d'amadouement, l'insaisissable Kaïs Saïed n'en avait que faire. Alors qu'ils l'attendaient par devant, il les a surpris par derrière, pour emprunter une phrase si chère à notre Ali Laârayedh.
Kaïs Saïed est un homme qui n'a rien à perdre. Novice en matière de politique, le chef de l'Etat a su jouer son coup de poker pour mettre ses adversaires dos au mur. Aller jusqu'au bout de son projet, ne pas se laisser intimider, ne pas plier, ne pas vaciller, ne pas tomber dans leur piège. Ainsi, aujourd'hui, les politiques sont de nouveau dos au mur. Se rebeller contre le choix du président pourra leur coûter bien plus que des plumes. Kaïd Saïed reste, en effet, ce même homme qui ne croit pas à la démocratie parlementaire, qui vomit le système politique actuel et qui estime que les partis politiques sont voués à disparaitre.
Une nouvelle manière de faire de la politique qui a su déstabiliser tous ceux qui étaient beaucoup trop habitués aux vils calculs politiciens basés sur des considérations dichotomiques et beaucoup trop simplistes. Si tu n'es pas avec moi, tu es forcément contre moi. Si Abir Moussi arrive à énerver autant les islamistes, c'est qu'elle est forcément progressiste. Si Hichem Mechichi n'a pas été proposé par les blocs de la majorité, c'est qu'il est forcément intègre et compétent. Il est forcément « l'homme de la situation ». Avons-nous réellement besoin d'hommes de la situation ? De personnes sur les épaules desquelles tout repose ? De sauveurs qui nous sortiront du pétrin ? De superhéros qui seront capables, à eux seuls, de sortir le pays du marasme ? Evidemment que non. Tout comme, il est évident que ce que je viens d'énoncer plus haut est archi-faux. Abir Moussi donne du fil à retordre aux islamistes mais n'est sans doute pas plus démocrate, ni plus progressiste qu'eux. L'opposition met des bâtons dans les roues du pouvoir mais n'est pas non plus du côté du peuple, de la justice et des libertés. L'échec – ou presque – de la démocratie aujourd'hui, est que les Tunisiens la voient comme une manière de sanctionner ceux avec lesquels ils ne sont pas d'accord. Vote utile, vote sanction, choix de la dernière chance, le moins pire de tous, le « qui reste-t-il donc ? »…
Mais inutile d'investir l'homme d'espoirs beaucoup trop lourds à porter pour sa simple personne. L'heure actuelle, n'est pas à un « Homme » (ou une femme, permettez-moi de rêver) fort, puissant et éclairé qui saura conduire la période à venir. Cette soupe-là, on nous l'a déjà servie et nous n'en voulons plus. Ce ne sera pas Hichem Mechichi qui nous sauvera, tout comme ce n'était pas Elyes Fakhfakh ou Youssef Chahed qui auront réussi à nous libérer. Ce n'est pas Kaïs Saïed qui nous libérera du système, tout comme ce n'est pas Abir Moussi qui nous sauvera des méchants islamistes. Le jour où nous comprendrons cela, nous pourrons enfin commencer à bâtir les bases solides d'une démocratie qui sera faite de lois et d'institutions, et non de personnes et de partis.
A les entendre, tous servent les mêmes discours. Tous se disent plus patriotes que la patrie, plus intègres que l'intégrité, plus compétents que la compétence et porteurs d'un changement qu'ils sont les seuls à savoir accomplir. Une seule chose est sûre à présent, le système politique actuel a échoué. Il ne mène plus à rien. Il est temps de le changer. Changer les personnes ne mènera à rien si on ne change pas le principe même avec lequel ils fonctionnent et tournent comme dans un éternel, insoutenable et si lassant, petit manège…