Lors de son allocution du 8 août 2025, le président Kaïs Saïed a consacré une partie importante de son discours à une critique virulente de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Pour étayer ses propos, il a multiplié les références historiques, citant notamment un article emblématique du journaliste Mohamed Guelbi publié dans Echâab, l'organe de presse de la centrale syndicale, le 13 janvier 1978. Ce contexte historique remonte à quelques jours avant la répression sanglante de l'UGTT par le régime de l'époque, le 26 janvier 1978. Or, loin de rendre hommage à la portée contestataire et courageuse de cet article, Kaïs Saïed en a fait un outil de décrédibilisation contre l'actuelle de l'UGTT. Il a avancé l'idée que si Mohamed Guelbi était encore vivant aujourd'hui, il écrirait contre son « propre camp », insinuant ainsi que la centrale syndicale aurait trahi ses idéaux.
Vers la fin de son intervention, le président est revenu sur la conclusion de cet article, mais en ne retenant que la phrase qui servait son propos : « Ne vous comportez pas avec nous comme le loup qui a dévoré l'agneau ». Il a ainsi occulté le message plus profond et engagé de Mohamed Guelbi, porté par une plume qui défiait la tyrannie et qui incarnait un engagement à défendre la liberté d'expression, en dépit des pressions du pouvoir. La journaliste Monia Arfaoui a souligné avec pertinence cette omission en partageant la conclusion complète de l'article de Mohamed Guelbi, accompagnée de ce commentaire : « La conclusion complète de l'article "Le Carnaval" telle que l'a écrite Mohamed Guelbi, sans sélection ! Elle contient la vérité de son propos et une leçon profonde ! L'article a été publié le 13 janvier 1978… et il reste pertinent après 50 ans, dans le même camp… Que repose en paix le journaliste à la plume acérée qui n'a jamais craint de faire face à l'injustice et à la tyrannie ».
En creusant dans les archives, nous sommes tombés sur cet article devenu un document historique, bien connu dans les milieux politiques et médiatiques tunisiens, qui témoigne d'une époque charnière et continue d'éclairer les débats actuels. Voici la conclusion originale de l'article de feu Mohamed Guelbi, traduite : « Enfin, supportez de ma part et d'autres que nous vous disions toujours la vérité sans fard, et ne vous comportez pas avec nous comme le loup qui a dévoré l'agneau. Nous avons le droit de nous abreuver à la source de la parole et de l'expression, car il n'est pas établi que nous sommes la corruption et que vous êtes "les gens bons". Ce qui importe aujourd'hui, c'est que vous portez la responsabilité de notre destin présent. Il vous est possible de nous jeter en prison si vous en avez l'envie, mais sachez que vos prisons ne pourront contenir la liberté de penser. Et si vous pouvez nous arrêter, vous ne pourrez jamais arrêter l'avenir ni le destin. Quant aux questions d'assassinats… elles ne nous effraient pas car nous ne serons pas présents pour lire l'annonce de la mort. Mais si nous montons auprès de Dieu et quittons cette terre, souvenez-vous seulement que nous laisserons derrière nous nos enfants – et qui sait – ils pourraient demain gouverner vos enfants et leur viendrait l'idée, Dieu nous en préserve, de se venger ». Un texte puissant qui rappelle que la lutte contre l'injustice et la répression est un combat qui dépasse les générations tout en prévenant que le temps de la vérité finit toujours par triompher, malgré les tentatives de réécritures sélectives.