C'est aux environs de minuit que Hichem Mechichi, pris par les délais constitutionnels, a annoncé la composition de son gouvernement. Sans surprises et sans émotions, il a proposé une équipe faite en majorité de profils dépourvus de dimension politique. Aussi aseptisée que puisse être la composition proposée, il est quand même difficile de cacher l'empreinte du président de la République. C'est aujourd'hui, 25 août 2020, que la composition gouvernementale devait être annoncée. En cause, une mauvaise lecture du texte constitutionnel et un mauvais calcul. Résultat des courses : branlebas de combat en fin de soirée du 24 août pour préparer, aussi vite que possible, une conférence de presse et une rencontre avec le président de la République pour lui remettre la liste. Comme à chaque fois, ce sont les journalistes qui ont payé le prix de cette improvisation et de cette incompétence. Il a fallu organiser une conférence de presse et inviter les médias à se rendre à Dar Dhiafa pour une intervention annoncée à 22h30. C'est seulement aux environs de minuit que Hichem Mechichi est apparu derrière le pupitre pour annoncer une liste fuitée quelques minutes auparavant. Avec le mépris pour les journalistes qui a caractérisé ses rares interventions, aucune question n'a été tolérée et on a fait poiroter les journalistes pendant des heures pour leur communiquer une liste en quelques minutes et partir. Un communiqué aurait tout aussi bien fait l'affaire.
C'est donc une composition gouvernementale bien policée et bien propre sur elle que Hichem Mechichi a présenté dans sa conférence de presse nocturne. Une composition restreinte de 28 ministres et secrétaires d'Etat dont huit femmes, un ministre à besoins spécifiques et un ministre de couleur. Une intention et une innovation tout à fait louable même s'il aurait été possible d'assurer une présence plus substantielle à la femme dans ce gouvernement. Mais au moins, Hichem Mechichi n'avait pris aucun engagement sur la question. Son gouvernement de « compétences indépendantes » se heurte depuis son annonce aux difficultés de la définition exacte de ces deux critères. La présence de certains noms dans cette liste est difficile à comprendre si l'on analyse à travers les ornières de la compétence et de l'indépendance. Le ministre auprès du chef du Gouvernement chargé des relations avec l'ARP, Ali Hafsi, ne s'est pas illustré par une coordination sans faille entre le gouvernement Fakhfakh et l'ARP. C'est plutôt l'inverse, car l'assemblée a plus souvent été une foire d'empoigne entre élus et gouvernement. En plus, il était, jusqu'à ces derniers jours, secrétaire général de Nidaa Tounes. Le retrouver reconduit, d'un gouvernement politique comme celui d'Elyes Fakhfakh, à un gouvernement de « compétences indépendantes », sonne comme une fausse note, indépendamment de la valeur intrinsèque de la personne. Ceci n'empêche pas que de réelles compétences existent dans cette liste dont notamment Fadhel Kraïem, proposé aux TIC, Moez Chakchouk, proposé au Transport et à la Logistique, Habib Ammar, proposé au Tourisme, Akissa Bahri, proposée à l'Agriculture et d'autres encore.
On retrouve également une certaine touche présidentielle dans cette composition gouvernementale. Sans aller jusqu'à parler de gouvernement du président comme le font plusieurs partis politiques, il est tout de même notable que le président a joué un rôle. D'abord, dans les deux postes relevant directement de sa compétence (les Affaires étrangères et la Défense, ndlr), le président a placé son conseiller diplomatique, Othman Jerandi, qui reprend un poste convoité et qu'il avait déjà occupé. A la Défense, c'est un enseignant universitaire, Brahim Bertégi, qui est choisi. Un universitaire spécialisé en droit public et en droit administratif et un ancien collègue de Kaïs Saïed. Il a été directeur du département de droit public à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Mais les affinités présidentielles ne s'arrêtent pas là, puisque l'avocat proposé au ministère de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine, était aussi le coordinateur de la campagne de Kaïs Saïed à Sousse. Pourtant, ce dernier avait promis sur les colonnes de Acharaâ Al Magharibi qu'il ne récompenserait pas ses troupes… Même le ministre de la Justice, Mohamed Boussetta, compterait parmi les amis du chef de l'Etat. Donc, il parait clair que la présidence de la République a eu la main sur le processus de nomination et de sélection des ministres, particulièrement ceux appelés à prendre les ministères de souveraineté. Hichem Mechichi a également fait quelques concessions à l'UGTT, en vue de la rentrée difficile qui l'attend particulièrement sur le plan social. C'est dans ce cadre que rentre la proposition de Mohamed Trabelsi aux Affaires sociales, poste qu'il avait déjà occupé en employant ses excellentes relations avec la centrale syndicale.
Le gouvernement présenté par Hichem Mechichi comporte également des modifications structurelles dans les structures des portefeuilles. Le plus notable de ces changements se trouve au niveau économique avec la création d'un pôle comprenant l'économie, les finances et le soutien à l'investissement, sous la houlette de Ali Kooli. Il sera épaulé par un secrétaire d'Etat chargé des Finances publiques et de l'Investissement en la personne de Khalil Chtourou. Il n'y aura plus, ainsi, de ministère dédié au développement, à l'investissement et à la coopération internationale, le célèbre MDiCi. Cette réorganisation en pôle pour l'économie est une modification souhaitée et préconisée par un certain nombre d'experts économiques qui soutiennent qu'elle permettra une plus grande efficacité et moins de dispersion dans la gestion de la chose économique. On notera également le portefeuille de l'intégration professionnelle, anciennement celui de l'emploi et de la formation professionnelle, au ministère de la Jeunesse et des Sports, sous la houlette de Kamel Deguiche. La migration et les Tunisiens à l'étranger retrouvent également de l'intérêt dans la nomination du ministère des Affaires étrangères.
Aussi séduisante que puisse paraitre cette composition, il est clair que Hichem Mechichi a dû faire des concessions, principalement à la présidence de la République. Ce n'est pas le résultat d'un choix souverain et fièrement claironné comme celui des « compétences indépendantes ». La main de Kaïs Saïed et de son cabinet est clairement visible, avec celle de l'UGTT. Ce constat ne fera que renforcer les partis politiques dominants (Ennahdha, Attayar, Qalb Tounes, Al Karama) dans leur croyance qu'il s'agit là d'un gouvernement du président dont la formation s'est faite sans eux. Une politique du fait accompli qui ne fera que les conforter dans leur choix de ne pas accorder leur confiance à l'équipe de Hichem Mechichi. Les partis politiques risquent de ne pas pardonner pas à Hichem Mechichi, et derrière lui à Kaïs Saïed, cette mise à l'écart forcée.