Voir cette année 2020 prendre fin est un soulagement pour une grande partie d'entre nous. Ce fût une année difficile pour la Tunisie et pour le monde. L'année du Coronavirus, pourrait-on l'appeler. 1 789 912 personnes sont mortes à ce jour des suites de cette pandémie. Un peu plus de 4 mille personnes sont mortes en Tunisie. Et cela aurait pu être bien plus grave. On ne peut quitter 2020 sans rendre hommage à toutes ces femmes et tous ces hommes du personnel médical et administratif tunisien, qui se sont battus avec acharnement contre cette pandémie. En manque de moyens, parfois sans protection adéquate au début de la crise sanitaire, sous-payés, maltraités par l'Etat, ils se sont quand même battus chaque jour, et continuent à le faire, pour le bien du pays. Des milliers de médecins et d'infirmiers ont enchainé les nuits blanches et les horaires impossibles pour tenter, au mieux, d'endiguer la progression du Coronavirus. Ils ont payé de leurs personnes, ils ont fait d'énormes sacrifices, n'ont pas rendu visite à leurs propres familles pendant des mois, beaucoup d'entre eux ont péri sur le champ de bataille. Paix à l'âme de Badreddine Aloui, jeune médecin mort dans un ascenseur à Jendouba. A travers lui, rendons hommage à l'ensemble de notre personnel médical. Chaque fois que les temps ont été durs pour le pays, ils ont toujours été là. Merci.
Sur le plan politique ce fût également une année particulière. Nous avons eu trois chefs du gouvernement en exercice : Youssef Chahed, Elyes Fakhfakh et Hichem Mechichi. Sans oublier l'épisode Habib Jemli, proposé par Ennahdha et qui n'avait pas obtenu la confiance du Parlement. Sans entrer dans les péripéties constitutionnelles qui rendent cela possible, la question qui se pose est de savoir s'il est possible de construire ou de réformer quoi que ce soit dans un contexte aussi volatile. Que peut faire un gouvernement lorsqu'il est l'otage d'équilibres politiques et parlementaires changeants, le tout sous le regard d'un président de la République qui critique, sans cesse, le système des partis et qui n'a qu'une volonté : tout chambouler. Ces questions renvoient vers le système politique tunisien et ses défauts. Mais quand on ne sait pas conduire, est-il si important que cela de savoir si l'on conduit un bolide ou un tacot ? Ce qui est sûr, c'est que la situation économique et sociale s'est dégradée de manière exponentielle. La crise du Covid-19 n'a rien arrangé à cela. Cette incertitude et cette peur ont eu un impact direct sur la situation politique, et quand on a peur, on va vers les extrêmes. Le parti destourien libre de Abir Moussi et la coalition Al Karama de Seif Eddine Makhlouf ont, incontestablement, été les stars les plus bruyantes et les plus en vue de cette année au sein du Parlement. Ils ne se sont pas distingués par des initiatives législatives ou par la défense de droits humains. Mais ils se sont concurrencés à coup de décibels et à coup de motions parlementaires, sans aucun effet légal ou exécutif. Ils ont été les protagonistes de joutes verbales inutiles, et ont existé sur la scène en s'en prenant à l'autre. Quand on avait dit qu'il s'agissait des deux faces d'une même pièce, les hystériques des deux camps s'étaient déchainés. Et pourtant, ils ne cessent, eux-mêmes, de le prouver chaque jour.
Par ailleurs, la classe politique tunisienne a montré son incapacité à agir sur le quotidien des Tunisiens. Même le président de la République, Kais Saïed, s'est transformé en simple chroniqueur de la vie politique tunisienne et a montré, sans le vouloir, qu'il était incapable de changer ou de réformer quoi que ce soit. Les Tunisiens ont été ballotés, pendant toute une année, par les mauvaises nouvelles et les catastrophes. Des enfants qui disparaissent dans les égouts, des meurtres et des viols horribles, outre la perte de personnes comme Ahmed Ben Salah ou Gilbert Naccache. Les politiciens tunisiens n'ont rien pu faire contre cette morosité. Pire, ils l'ont nourrie et y ont participé. Le fossé qui sépare la classe politique tunisienne n'a jamais été aussi large. La conviction selon laquelle les politiciens ne peuvent rien changer et ne sont là que pour se servir et acquérir des postes n'a jamais été aussi ancrée.
Une année difficile s'annonce pour la Tunisie à tous les niveaux. Le leadership actuel de la Tunisie, au niveau des postes officiels du moins, n'augure rien de bon, hélas. Au niveau économique, il y a le « mur de la dette » qui nous attend en 2021. Au niveau politique, l'instabilité semble être de mise avec les informations, de plus en plus persistantes, sur un éventuel remaniement ministériel, sans parler de l'avenir de l'initiative de dialogue de l'UGTT. Sur le plan social, la misère aidant, il est clair que ce sera chaud, particulièrement durant les premiers mois de l'année où de nombreuses grèves régionales sont prévues, en plus des agissements de ces nouveaux acteurs que sont les coordinations, à l'instar de celle du Kamour. Il va falloir bien s'accrocher, car la houle ne s'arrêtera pas parce qu'on a changé d'année.