Les Tunisiens, à force de persévérance et de courage ont finalement commémoré le samedi 6 février 2021, le huitième anniversaire de l'assassinat de Chokri Belaid. Une commémoration digne du martyr qui laisse derrière elle, comme chaque fois, beaucoup d'amertume et toujours la même question : qui a tué Chokri ? Mais au-delà de l'hommage que les Tunisiens ont voulu rendre de nouveau à Chokri Belaid, mais aussi à Mohamed Brahmi ainsi qu'à tous les autres martyrs, citoyens anonymes, militaires et membres des forces de l'ordre qui ont été victimes de la barbarie terroriste durant les dix dernières années, les manifestations commémorant le huitième anniversaire de l'assassinat de Chokri Belaid ont dégagé quelques enseignements significatifs. Le premier enseignement concerne le retour de la violence policière. Il était clair que le dispositif policier mis en place dans les points névralgiques de la capitale était un dispositif d'attaque, offensif, prêt à mater la foule. Les barrages de filtrage qui ont été disposés à des kilomètres de l'avenue Habib Bourguiba ont été l'occasion pour les policiers pour commettre toutes les exactions envers les citoyens. Visiblement, ils étaient en confiance et assurés de leur impunité. Pour délit de faciès, beaucoup de Tunisiens ont été refoulés au niveau de ces barrages, souvent avec des insultes, parfois avec des gifles et des coups de pieds. Leur seul crime était d'être des jeunes. Ce retour de la violence policière a été fortement remarqué depuis le déclenchement des manifestations nocturnes dans plusieurs quartiers de la capitale ainsi que dans diverses régions du pays. Face à ces manifestations nocturnes, émaillées de quelques dérapages, la réponse policière a été d'une violence disproportionnée. Aujourd'hui, environ mille cinq cents jeunes Tunisiens dont plusieurs mineurs sont encore en détention selon les organisations de défense des droits de l'Homme. Cette violence policière a été confirmée samedi à l'avenue Habib Bourguiba, par des agressions injustifiées contre des avocats, comme pour faire passer un message aux Tunisiens. Pire encore. Parmi les multiples photos de la honte qui circulent depuis deux jours, la photo de l'avocat Abdennaceur Laouini molesté par les policiers était scandaleuse. Il était seul, entouré de dizaines de policiers sous la conduite d'un officier supérieur. Assurément, l'agression de Maitre Laouini n'était pas un malencontreux dérapage. Les déclarations risibles du porte-parole du ministère de l'intérieur sur le comportement exemplaire des forces de l'ordre n'y changeront rien. Le second enseignement est en rapport avec la tendance despotique de Hichem Mechichi. Certains policiers, se sentant offensés par les agissements de quelques jeunes lors de manifestations précédentes, avaient une envie de casser du Tunisien. Mais pour la plupart, ils n'ont fait qu'appliquer les directives de leurs supérieurs. En sa qualité de chef de gouvernement et de ministre de l'Intérieur, Hichem Mechichi a tenté de décourager les Tunisiens de descendre dans la rue et a essayé de bloquer l'accès à l'avenue Bourguiba. Il a échoué lamentablement, comme dans tout ce qu'il a entrepris jusque-là. En réalité, compte tenu de son parcours personnel au sein d'une administration assujettie et sclérosée, Mechichi a réagit comme il a appris à le faire : il a essayé de verrouiller le système. Il n'a pas compris qu'il se trouve désormais non face à des sujets de la République mais devant des citoyens à part entière qui ont retrouvé leurs voix, qui exercent pleinement leur liberté et qui exigent leurs droits. Les jeunes qui ont investi les rues lui sont méconnaissables parce qu'ils représentent une nouvelle génération de Tunisiens que les ainés n'ont pas vu grandir. Qu'il se cramponne à son poste comme il peut, Mechichi est désormais incapable de gouverner cette nouvelle Tunisie. Le troisième enseignement concerne Ennahdha et les islamistes en général. Huit ans après, les Tunisiens sont toujours aussi convaincus qu'ils sont les commanditaires des assassinats de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi. Les années qui passent, les efforts louables du comité de défense aidant, ne font que renforcer cette conviction. Aujourd'hui, toujours au pouvoir mais avec une crédibilité fortement érodée, les islamistes se trouvent clairement au ban de la société. Enfin, il y a l'absence remarquée de représentants du PDL de Abir Moussi ce samedi du 6 février. Ne pas participer à une manifestation orientée clairement contre les islamistes et l'islam politique est révélateur d'une idéologie et d'un état d'esprit. Dans la pratique et dans la rue, le PDL est apparu lui aussi, tout comme les islamistes, sur le ban de la société tunisienne.