« Je ne démissionnerai pas ». C'est ce qu'a affirmé le chef du gouvernement Hichem Mechichi, pour toute réponse à une crise politique sans précédent sur fond d'une grave crise économique et sociale et d'une crise sanitaire catastrophique. C'est dire que la tension exacerbée entre les deux têtes de l'exécutif, suite au remaniement ministériel annoncé le 16 janvier dernier, soit exactement il y a un mois, ne sera pas résorbée de sitôt. En fait, le chef du gouvernement aurait pu faire l'économie de son affirmation. Ceux qui s'intéressent à la situation dans le pays savent qu'il est très peu probable que Hichem Mechichi accepte, de son plein gré, de quitter un poste, qu'il n'a jamais espéré ou rêvé occuper, et auquel il se cramponne de toutes ses forces. Sa carrière d'administrateur modèle interdit toute pensée de démission, car un fonctionnaire qui se respecte occupe son poste et ne le quitte que parce qu'il est muté ou démis. De là à se comparer à un soldat qui ne déserte pas les rangs, c'est aller un peu vite en besogne. En effet, trois valeurs guident un soldat pour rester toujours en poste et écarter chez lui toute idée de désertion. Ce sont la discipline, la fidélité et le sens de l'abnégation et du sacrifice. Ces valeurs ne semblent malheureusement pas être les traits forts du caractère du chef du gouvernement.
Si Mechichi se considérait réellement comme un soldat de la nation, il aurait dû se soumettre aux directives du président de la République qui, lui, est effectivement le chef suprême des armées. Pour le soldat Mechichi, que Kaïs Saïed soit dans le vrai ou dans le tort importe peu, car un soldat exécute les ordres. On appelle cela la discipline militaire. Quant à la fidélité, le décalage semble flagrant entre cette valeur essentielle chez un militaire et le comportement du chef du gouvernement qui, aussitôt désigné, a vite fait de tourner le dos à celui qui l'a fait sortir de son anonymat. Sans prendre en compte toutes les raisons objectives ou non qui expliqueraient ce volte-face, tout le monde s'accorde à dire aujourd'hui que Mechichi a bel et bien trahi Kaïs Saïed.
Enfin, le sens d'abnégation et de sacrifice, très présent chez un soldat, aurait exigé de Mechichi qu'il sacrifie son poste et sa carrière pour sa nation meurtrie et accablée par tous ses maux. Or, le chef de gouvernement n'a cessé, durant les quatre derniers mois, de montrer que son souci majeur était de satisfaire les composantes de son «coussin» afin de se maintenir dans son siège. La nation attendra.
Sur le plan pratique, les actions multipliées et successives du chef du gouvernement, au lieu de dégager une impression de vouloir chercher une issue à la crise, montrent au contraire un entêtement embarrassé et cafouilleux qui frise le ridicule. Il y a eu d'abord ces correspondances à répétition au président de la République pour fixer la date de la cérémonie officielle au cours de laquelle les nouveaux ministres prêteront serment. Mais ces correspondances, au lieu de mettre sous pression le président de la République, elles ont confirmé que le chef du gouvernement et son équipe, respectent peu ou maitrisent mal les procédures. Il y a eu encore cette réunion avec les experts en droit constitutionnel qui ont refusé tous, de tordre le cou à la constitution. Ils ont été unanimes à considérer que la crise actuelle entre les deux chefs de l'exécutif, dans la configuration actuelle, n'a d'issue que dans un cadre politique. Il y a eu ensuite la consultation du tribunal administratif qui s'est déclaré inapte à donner son avis dans un tel conflit, conseillant au passage d'accélérer la mise en place de la cour constitutionnelle. En dernier recours et dans un ultime mouvement de panique, le chef de gouvernement s'est adressé à l'instance de contrôle de la constitutionnalité des lois. Il est peu probable que cette instance émette un avis en faveur du chef du gouvernement et à contre-pieds des positions du tribunal administratif et des experts constitutionnalistes.
Pourtant, pour résoudre cette crise de prérogatives entre le président de la république et le chef de gouvernement, crise provoquée et préméditée dans une large mesure, il suffit de s'armer de bon sens, d'une bonne dose d'abnégation et de sens de sacrifice. N'est-ce pas soldat Mechichi ?