Le parti islamiste Ennahdha a multiplié les communiqués depuis le 25 juillet, date à laquelle le président de la République avait décidé de geler le parlement, de virer le chef du gouvernement et de lever l'immunité sur l'ensemble des élus. Les communiqués du parti présidé par Rached Ghannouchi étaient virulents au début. Les menaces étaient à peine voilées et on n'hésitait pas à parler de putsch constitutionnel. Au fur et à mesure, le ton est descendu et les formulations se sont adoucies dans l'espoir de trouver un terrain d'entente avec le président de la République. Deux facteurs expliquent cela. Le premier est la position de la communauté internationale qui est restée méfiante et donc, pencherait vers le même objectif des islamistes, à savoir le retour à la « légalité constitutionnelle ». Le deuxième facteur est la relative clémence de la présidence de la République envers les islamistes qui, finalement, ne déplorent que la mise en résidence surveillée de Anouar Maârouf. Il n'y a pas eu de vagues d'arrestations massives et arbitraires ou de persécutions notables qui les viseraient ce qui a éloigné le spectre d'un scénario à l'égyptienne, par exemple. Mais le plus grand ennemi d'Ennahdha n'est pas le président Kaïs Saïed, même si, dans une habitude bien tunisienne, nous avons tendance à placer les intervenants dos à dos et à imaginer des batailles épiques. Ce n'est pas non plus le PDL de Abir Moussi qui a participé à donner une image catastrophique du Parlement et a donc ajouté de la légitimité aux décisions présidentielles. Le plus grand ennemi d'Ennahdha est elle-même. Lundi 23 août 2021, le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, décide de congédier l'ensemble des membres du bureau exécutif du parti. Selon la voix officielle du parti, il s'agit de le reformer ensuite pour « mieux répondre aux exigences de la période actuelle avec l'efficacité requise ». Les plus cléments, dans le parti islamiste, diront que c'est une décision tardive qui ne changera rien à la situation interne du parti. Les plus virulents diront que Rached Ghannouchi a perdu toute légitimité au sein du parti et qu'il continue avec ses tactiques ponctuelles et ses coups tordus alors que tout le bateau Ennahdha est en train de couler par sa faute. Ce qui est sûr, c'est que rarement les membres d'Ennahdha auront eu une telle unanimité contre une décision de leur président. En plus, le bureau exécutif, ou au moins la majorité de ses membres, allait démissionner de son propre chef, en guise d'acte de contestation. Rached Ghannouchi les a pris de vitesse en publiant un communiqué annonçant la dissolution du bureau, juste pour garder la main et montrer, au moins à l'extérieur du parti, que c'est lui le patron.
Le parti islamiste Ennahdha n'a cessé de réclamer le retour de la démocratie et a mobilisé beaucoup de moyens pour faire pression, y compris des contrats de lobbying à l'étranger. Mais comme dans bien d'autres situations, le porteur du message enlève toute crédibilité à ce dernier. Quand Ennahdha se plaint de la prolongation des mesures exceptionnelles, a-t-elle oublié que son propre congrès a été reporté à plusieurs reprises pour « ménager » les humeurs de son président et ne pas le confronter à ses nombreux détracteurs au sein du parti ? Quand le parti Ennahdha évoque la démocratie, a-t-elle oublié qu'elle présidée par la même personne depuis plus de quarante ans, que les voix dissonantes de la démagogie du parti ont été virées, que les signataires de l'appel des cent, qui souhaitaient un changement au sein du parti, ont été harcelés et privés de leur simple droit à la différence ? Quand Ennahdha parle de la nécessité d'un dialogue, a-t-elle oublié que l'entourage de son propre président forme une caste intouchable qui prend des décisions dramatiques pour le parti sans consulter qui que ce soit ? Il est clair que le parti Ennahdha n'est pas du tout une référence en termes de « comportement » démocratique ou dans le respect des délais. Il serait utile de rappeler les sourires narquois et les moqueries de Ali Laârayedh ou de Noureddine Bhiri quand le délai d'un an pour élaborer la constitution avait été dépassé en octobre 2012. Et pourtant, le leadership d'Ennahdha continue dans son pitoyable aveuglement et reste sourd aux revendications de membres historiques du parti comme Abdellatif Mekki, Samir Dilou et bien d'autres. La tête pensante d'Ennahdha, à savoir Rached Ghannouchi, refuse de réviser ses plans et ses stratégies. Les Rafik Abdessalem, Noureddine Bhiri ou Abdelkarim Harouni refusent de se demander pourquoi les manifestants ont brûlé des sièges de leurs partis dans certaines régions. Ils préfèrent se réfugier dans un argumentaire stérile et ridicule sur un supposé complot qui les viseraient. Poursuivant sur ce chemin, c'est encore un des protégés du président du parti, Mohamed Goumani, qui a été désigné pour présider un « machin » appelé comité de gestion de crise politique. Ce comité doit, officiellement, trouver des ententes et des accords avec les parties prenantes en Tunisie pour revenir à une situation normale. Mais son réel objectif est de couper l'herbe sous les pieds des autres membres et dirigeants d'Ennahdha et les priver de toute initiative personnelle puisque le parti a déclaré que ce comité est le seul habilité à parler en son nom et à trouver des compromis.
Conforté par un entourage immédiat de laudateurs et d'opportunistes, Rached Ghannouchi a participé à détruire le parti Ennhadha, plus efficacement et plus profondément que tous ses opposants réunis. A longueur de communiqués, Rachehd Ghannouchi s'insurge contre ce qu'il applique lui-même au sein du parti où il jouit d'un pouvoir individuel. Il prône le dialogue mais ne dialogue pas, il parle de démocratie alors que ses opposants dans le parti sont persécutés, il souhaite que l'on se penche sur les problèmes sociaux et économiques du peuple alors qu'il a installé le climat nécessaire pour que son parti devienne étranger à ces préoccupations. Les décisions de Rached Ghannouchi et ses comportement en tant que président de l'Assemblée ont précipité la crise politique et il devient clair que le « cerveau politique » du parti n'est plus fonctionnel. Rached Ghannouchi et sa garde rapprochée ne pourront pas se cacher éternellement derrière les histoires de complot et les théories sur les puissances étrangères qui voudraient les éliminer. A un moment donné, il faudra rendre des comptes, aux membres du parti en premier lieu, et l'imminence de cette échéance ne plait pas du tout à Rached Ghannouchi.