Le bureau de l'assemblée des représentants du peuple a décidé lundi 28 mars 2022 de convoquer une assemblée générale pour le 30 mars portant sur l'annulation des mesures exceptionnelles. Qu'est-ce que cela signifie ? Nous nous dirigeons vers une crise au sommet de l'Etat tunisien avec, d'un côté, un président de la République qui s'est arrogé les pleins pouvoirs et, de l'autre, un président du parlement qui tente tardivement de défendre son pré-carré. En décidant de convoquer une assemblée pour faire annuler les mesures exceptionnelles décidées par Kaïs Saïed au lendemain de son putsch du 25-Juillet, Rached Ghannouchi joue maintenant la politique de la terre brûlée. Pourquoi convoque-t-il maintenant cette assemblée, alors qu'il aurait dû le faire au lendemain même du putsch ? Qu'est-ce qui a changé pour que le président du parlement élu passe à l'offensive ? Légalement parlant, ce qu'a fait Kaïs Saïed le 25 juillet 2021 est contraire à la loi, à la constitution et ce pour quoi il a été élu. L'article 80 dispose clairement que le parlement est considéré comme étant en session permanente. Or, Kaïs Saïed a placé les militaires devant le siège de l'assemblée y interdisant ainsi l'accès aux députés et leur président. L'article 80 parle de danger imminent, mais Kaïs Saïed n'a pas précisé ce danger, ni même sa nature. L'article 80 précise que les mesures exceptionnelles doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Or, Kaïs Saïed est à des années lumières de cela. Pire, il ne cesse de décider des décrets contraires aux lois et à la constitution.
Tout cela a poussé Rached Ghannouchi à convoquer une assemblée urgente. La question demeure, pourquoi maintenant et pas dès le lendemain du putsch ? L'islamiste avait besoin d'un double soutien pour pouvoir mener ce combat frontal avec le président de la République. Le premier est d'avoir 109 députés prêts à voter dans sa direction pour faire annuler les décisions du président de la République. Chose qu'il n'avait pas en juillet 2021 et qu'il prétend avoir aujourd'hui. Le second est d'avoir un soutien étranger. Or, les partenaires étrangers de la Tunisie (principalement la France, les Etats-Unis et l'Union européenne) ont accepté de cautionner Kaïs Saïed à la condition qu'il garantisse le retour du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Kaïs Saïed leur a promis cela dans un délai de trente jours. Sauf qu'il n'a pas tenu parole et a adopté la politique de la fuite en avant. En annonçant des législatives pour décembre 2022, il pensait obtenir un sursis. Sauf que les partenaires étrangers de la Tunisie ne sont pas dupes. D'autant plus que cette convocation officielle des électeurs n'existe dans aucun texte officiel. Nous n'avons, pour l'instant, que des paroles verbales du président.
La semaine dernière, la sous-secrétaire d'Etat américaine, chargée des droits de l'Homme, était en visite en Tunisie. Elle a rencontré un bon nombre d'acteurs politiques et de la société civile, mais sa demande de rendez-vous avec le président Saïed est restée sans suite. Tardivement, elle a quand même eu un entretien avec Najla Bouden. Cette visite réconforte les Américains dans leur position vis-à-vis de la Tunisie, le pays n'est plus une démocratie et le peuple vit sous les ordres d'un président qui s'est accaparé tous les pouvoirs et qui a mis, sous sa botte, les forces armées et sécuritaires. Les Américains ont-ils encouragé Rached Ghannouchi à franchir le Rubicon ? Très probable quoiqu'il n'y a rien qui le prouve. Une chose est certaine, les islamistes tunisiens ont toujours bénéficié d'un traitement de faveur et d'un soutien de la part des Américains. Le porte-parole de l'assemblée, l'islamiste Maher Medhioub, était aux Etats-Unis ces derniers temps et a multiplié les rencontres avec les officiels et les lobbys américains pour médiatiser la « cause » tunisienne.
Que va-t-il se passer maintenant ? Légalement parlant, Kaïs Saïed est hors la loi et a violé la constitution. Rached Ghannouchi, en revanche, agit conformément aux textes de la constitution. Indépendamment de la loi, sur le plan de la légitimité, Kaïs Saïed a été élu grâce à 2.777.931 électeurs, alors que les 217 députés ont été élus grâce aux voix de 2.946.628 votants. Arithmétiquement et légalement, les députés ont plus de légitimité que Kaïs Saïed et leurs décisions devraient peser davantage. Même la consultation populaire lancée par Kaïs Saïed, dans l'objectif de prouver qu'il a le peuple à ses côtés, n'a atteint que 15% des objectifs initiaux avec quelque cinq cents mille participants seulement. N'empêche, Kaïs Saïed possède deux choses que Rached Ghannouchi et ses 216 députés n'ont pas. Il demeure fort populaire dans les sondages et il a les forces armées à ses ordres. En dépit de tout ce que peuvent décider les députés, ce mercredi, il est difficile de croire que l'armée et le ministère de l'Intérieur obéissent à leurs ordres. Difficile également de croire que le PDG de l'Imprimerie officielle accepte de publier dans le journal officiel les décisions de l'assemblée, la seule manière pour que ces décisions soient frappées de légalité. Rached Ghannouchi a une idée derrière la tête, celle de déchoir le président de la République de ses fonctions. Or il ne peut pas faire cela sans un appui étranger et sans la complicité de l'armée, des forces de l'ordre et de l'Imprimerie officielle. Réunit-il ces quatre conditions ?
Raouf Ben Hédi
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