Pour beaucoup de Tunisiens, la mairie, ou « Al Baladia » en Arabe, représente la structure qui récolte leurs détritus. Pour d'autres c'est cette structure architecturale improbable qui se trouve à la Kasbah en face du palais du gouvernement. Pour les habitants d'El Menzah 9, la mairie de Tunis, c'est ce conseil municipal qui veut faire du business sur la rue Abdelaziz Thaalbi, déjà très encombrée parce qu'étroite, en y installant en file indienne des cabanes en dur, de 50m2 l'une. De futurs commerces qu'elle pourra louer à l'année. Un futur business juteux qui a été stoppé net par une mobilisation forte des riverains, qui ont porté plainte étant donné l'extrême opacité administrative qui recouvre le projet, la mairesse ayant refusé d'expliquer à qui profitera l'espace de la collectivité.
Dans l'ordonnance du tribunal administratif de Tunis, que Business News a pu obtenir, l'avocat désigné par les associations et riverains d'El Menzah 9, Saber Ben Ammar, explique dans sa plainte, que la mairesse de Tunis, Souad Abderrahim, a octroyé des permis, à des personnes qui ne sont pas de la commune, pour la construction de locaux à usage commercial sur l'unique espace « vert » à Menzah 9. Dans son attaque, l'avocat révèle aussi le montant du loyer qui sera éventuellement perçu par la mairie. Deux mille dinars par an et par cabane. Il y dénonce aussi le viol du code des collectivités locales qui stipule que les riverains ont leur mot à dire dans les projets qui se font dans leurs quartiers. Et en effet sur ce point, plusieurs associations sont montées au créneau dès l'apparition des premiers bulldozers de la mairie, sur le terrain en question. « Avec le délégué de quartier nous avons dès le mois de février contacté la mairie pour avoir des explications mais nous n'avons eu aucun retour. Nous avons déposé des demandes d'accès à l'information pour voir les procès-verbaux des assemblées pendant lesquelles ont été prises ces décisions, mais nous n'avons eu aucune réponse » explique la responsable de l'association zone verte El menzah, et d'ajouter : « Nous en sommes venus à savoir que durant la réunion du conseil municipal, le président de circonscription d'El Menzah 9, M. Dabbebi a déclaré que les habitants du quartier ont donné leur aval pour le projet. Ceci est faux ! Les habitants de la zone sont contre ce projet commercial. A maintes reprises nous avons demandé à Mme Abderrahim de nous expliquer ce qui se passe, mais nous n'avons jamais eu de réponse. Nous sommes pour le développement économique du pays mais il faut qu'on sache ce qui se prépare et qu'on nous explique ou qu'on nous informe au moins ». Au-delà de l'opacité inquiétante imposée par l'autorité locale sur ce projet, des négligences d'ordre normatif ont été relevées par les habitants du quartier qui se sont plaints de coupures de courant. En effet, sur le document vidéo obtenu par Business News, on peut voir les travailleurs municipaux du chantier, sans tenue adéquate, travailler pelle à la main directement sur les fils électriques, déchiquetés, qui alimentent la zone. Ceux qui ont initié le projet, en l'occurrence les membres du conseil communal, n'habitent pas le quartier d'El Menzah 9. Ils travaillent pour satisfaire les demandes des vrais promoteurs du projet et qui voient dans ce terrain, non constructible selon le dernier plan d'aménagement, une opération financière. Ils ne voient pas en revanche que la rue Abdelaziz Thaalbi est déjà sujette à un gros problème de trafic et que sur la perpendiculaire, l'avenue Tahar Ben Ammar, une dizaine de constructions anarchiques, « akcheek », encombrent les trottoirs. Face à la mobilisation, le 29 mai 2022, le tribunal administratif de Tunis a tranché. Les travaux seront reportés. Une première victoire pour la collectivité dont les riverains continuent de surveiller la zone. « Malgré l'ordonnance du tribunal, de petits engins s'activent de temps à autres, en journée sur le terrain » a confié le propriétaire d'un magasin proche du chantier controversé. Une irrégularité relevée aussi par Business News lors d'un déplacement sur la zone effectué dans la matinée du 8 juin. Depuis l'aménagement d'El Menzah 9 dans les années 80 et 90, le terrain, sujet de la controverse, a été abandonné par la mairie aux détritus et aux chiens errants qu'on abat par balle dans la nuit. Un terrain abandonné par ce que non constructible selon le plan d'aménagement. Les habitants du quartier ont depuis toujours appelé à y installer un parcours de santé, une zone verte. Aujourd'hui sa vocation a changé, sans que personne ne sache comment. Il devient zone commerciale. A voir les cabanes qui vendent du tabac et des produits de contrebande surgir comme des champignons sur les trottoirs, les analystes de la question tunisienne doivent se rendre à l'évidence : Le business model de la Tunisie est principalement axé sur le développement de cafétérias et « Akcheek »! A un moment où beaucoup voient les services de la mairie reboucher les trous sur les routes avec du sable et du gravier, les habitants d'El Menzah 9, eux, se voient confisquer un bout de terrain par des étrangers à la commune, le tout avec l'aide active de la mairie qui tente la fuite en avant.