Pour la première fois depuis l'ascension de Kaïs Saïed au pouvoir (maintenant on peut véritablement parler d'ascension), la fête nationale de la femme a été célébrée en grandes pompes sous la présidence de l'épouse du chef de l'Etat. Bien entendu, Ichraf Chebil était accompagnée par la présidente du gouvernement, Najla Bouden. Mais cette dernière, fidèle à son habitude, était effacée comme toujours, lisait difficilement son texte et cherchait visiblement à passer inaperçue dans une cérémonie où elle a joué, comme beaucoup d'autres femmes présentes, son rôle de figurante afin de mettre mieux en exergue la présence de l'épouse du président. On ne peut que la saluer pour son abnégation. Au détour, on pourrait aussi saluer la télévision tunisienne qui a oublié, l'espace d'une cérémonie, son rôle de service public et a été, encore une fois, un vulgaire outil de propagande. Cela n'a pas rendu la cérémonie plus attrayante ou la prestation de l'épouse du président de la République plus convaincante. Loin de là. La démarche de « la première dame » était hésitante comme tous les néophytes qui font leurs premiers pas en public. Sa locution aussi. La cérémonie quant à elle, avait des allures de déjà vu et l'air sentait la naphtaline à plein nez. Elle renvoyait les tristes souvenirs d'une Leila Ben Ali balbutiant un discours qu'elle ne maitrise pas, devant un auditoire de flagorneurs et de courtisans sous la conduite de chauffeurs de salles émérites comme Saïda Agrebi aujourd'hui en exil et Abir Moussi, qui a gravi les échelons pour devenir présidente de parti politique tout en gardant son style et son mode opératoire. C'est dire combien la présence et la scénarisation ostentatoire de l'épouse du chef de l'Etat à la cérémonie officielle de la commémoration de la fête nationale de la femme a ravivé les craintes d'un retour du « pouvoir de la famille du président » et rappelé des épisodes qui restent toujours dramatiques et douloureux malgré le temps passé. Il faut avouer que le pouvoir des familles des premiers dirigeants politiques en Tunisie a été un pouvoir réel et constant durant les huit dernières décennies, c'est-à-dire dès l'indépendance du pays. L'histoire de la République est aussi l'histoire des familles des gouvernants. A l'époque du leader Habib Bourguiba, son épouse Wassila Ben Ammar jouait un rôle politique important, notamment sur la scène internationale. Sa contribution était visible dans le capotage de l'accord de Djerba avec la Libye en 1975, quelques heures seulement après sa signature. Elle était aussi pour beaucoup dans l'installation de la direction palestinienne à Tunis au début des années 80, après leur sortie forcée du Liban. A la fin de son règne, très âgé et malade, Bourguiba a laissé le pays aux mains de sa nièce Saida Sassi qui est passée maitre dans l'art des intrigues du palais, ce qui a accéléré la chute de son régime. Zine Abedine Ben Ali avait lui aussi sa devise : « ma famille d'abord, tout le reste après ». Au début, il a livré le pays aux désidératas de son frère Moncef Ben Ali et de son gendre Slim Chiboub. Après l'assassinat de son frère par la mafia italienne et la disgrâce de son gendre, la famille de sa femme, les Trabelsi, ignares et assoiffés de pouvoir et d'argent ont pris d'assaut le pays et saccagé son économie. Pour résumer, Ben Ali n'était qu'accessoirement le président de la République. Mais il était le chef du clan à plein temps. Après la révolution, Rached Ghannouchi a perpétré la tradition. Son gendre Rafik Abdessalem Bouchlaka, son fils Mouadh, sa fille Soumaya, son neveu Habib Khedher et autres sont devenus des acteurs déterminants dans l'échiquier tunisien. De son côté, le président Béji Caïd Essebsi avait échoué de faire de son fils Hafedh son héritier politique. Mais c'était à cause de l'incompétence du fils et non faute d'avoir essayé. Depuis la venue de Kaïs Saïed, les incursions intermittentes de son frère Naoufel dans la sphère politique étaient mal accueillies. Des bruits de couloirs que personne ne voulait croire parlaient de l'influence grandissante de sa belle sœur. Avec l'entrée récente en scène de sa femme, le risque du retour des vieux démons devient réel