Sous d'autres cieux que les nôtres, un responsable politique qui échoue, un gouvernement qui ne trouve pas de solutions efficientes aux problèmes urgents, en assume la pleine responsabilité et se retire. C'est la logique des choses. C'est la marche normale dans un système politique qui se respecte et qui respecte le peuple dont il est censé défendre les intérêts. La Première ministre britannique, Liz Truss a jeté l'éponge jeudi 20 septembre. Son mandat aura été le plus court de l'histoire du Royaume-Uni. Sur fond de crise économique, d'impopularité grandissante dans l'opinion et d'une perte de confiance de ses pairs, Liz Truss quitte le 10 Downing Street après seulement 44 jours. « Vu la situation, je ne peux remplir le mandat sur lequel j'ai été élue », a-t-elle déclaré. Son projet de budget ayant échoué menant à la démission de son ministre des Finances et son rétropédalage express sur le plan économique, entre autres, ont aggravé la crise que traverse son pays. La Première ministre n'avait d'autre choix que de présenter sa démission et d'en assumer ainsi la responsabilité politique.
En Tunisie, un tel acte relève de la science-fiction. Des gouvernements qui se sont succédé depuis la chute du régime de Ben Ali, aucun n'a avoué ne serait-ce ses erreurs et errements, aucun n'a assumé sa responsabilité politique. Tous ont jeté la responsabilité des échecs sur ceux qui les ont précédés. « Ce n'est pas ma faute, c'est celle des autres », semble être la devise non-déclarée de nos gouvernants. Des islamistes, à Moncef Marzouki, au clan Nidaa/Tahya, aucun ne s'est retiré ou admis ses torts. Chacun est venu aggraver une situation déjà difficile, chacun est venu ajouter une pierre branlante à l'édifice le fragilisant encore plus. Personne n'a eu l'intégrité nécessaire, ou du moins la décence, de démissionner lorsqu'il le fallait. Des crises, la Tunisie en connait pléthore. La crise de la responsabilité politique en est une et a engendré, avec le cumul, des gouvernants qui n'en ont cure de rendre des comptes et par conséquent une défiance populaire à l'encontre de la classe politique. Un Hichem Mechichi qui a totalement raté, à titre d'exemple, la gestion de la pandémie Covid-19 provoquant la mort de centaines de Tunisiens, n'avait aucunement l'intention de rendre des comptes ou démissionner. S'il n'y avait pas eu le coup du 25-Juillet, il se serait cramponné à son siège.
On aurait cru que monsieur intégrité, en accaparant tous les pouvoirs, serait plus correct que ses prédécesseurs de « la décennie noire ». Il n'en est rien. Il pousse même le bouchon plus loin. Tout récemment, le président de la République convoque au palais sa cheffe du gouvernement tous les deux ou trois jours. La dame n'a pas droit à la parole. Le sieur la convie pour simplement passer des messages via des communiqués qui frôlent l'absurde. Son dada est d'accuser les microbes, les rats, les diablotins, les poissons terrestres, les Autres… de semer la pagaille. Cela fait plus de trois ans que Kaïs Saïed a accédé à la magistrature suprême, un an et demi qu'il s'est arrogé tous les pouvoirs, qu'il règle les affaires du pays à travers des décrets publiés dans le Journal officiel. Un an et demi que le Parlement n'existe plus. Il est seul maître à bord. Cependant, il ne cesse d'imputer la dégradation de la situation socio-économique aux Autres, ceux dont il ne prononce pas le nom, mais qui ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues. Aucune remise en question, aucune réévaluation de sa gestion calamiteuse. Au contraire, il se montre remonté contre ces parties et crie aux complots ourdis dans les chambres obscures. Il ne lui viendrait pas à l'esprit de concéder son échec. « Le président de la République a souligné la nécessité de parvenir à des solutions rapides à propos d'un nombre d'affaires qui se sont davantage compliquées, à cause des engagements des précédents gouvernements qui savaient, pourtant, pertinemment qu'ils étaient irréalisables ». Voilà ce que disait son communiqué lors de sa dernière rencontre avec la cheffe du gouvernement. Il répète aussi que chacun doit assumer ses responsabilités, sauf lui bien évidemment.
Il oublie peut-être que la cheffe du gouvernement ne tire ses prérogatives limitées que du décret présidentiel 117 où il s'est arrogé la latitude de définir les politiques gouvernementales. Par conséquent et en toute logique, Mme Bouden n'est qu'une exécutante. Le pouvoir absolu implique forcément d'endosser la responsabilité totale. Se délester de cette responsabilité quand ça va mal, mettre en porte-à-faux le gouvernement qu'il a lui-même nommé ou bien dénoncer le legs empoisonné des précédents gouvernants, ne peut dénoter que d'une certaine lâcheté politique. Gouvernement, décrets, constitution, code électoral sur-mesure… et il persiste à se défiler de sa responsabilité. Ou il se peut que Saïed a tellement vogué en hauteur stratosphérique qu'il a perdu pied avec la réalité et qu'il en est venu à se dire « Khatini » et à s'en convaincre. « Khatini » étant un terme tunisien qui résume bien l'attitude présidentielle : « je ne suis pas responsable ».