Alors que pour de très nombreux Tunisiens, obtenir une nationalité étrangère en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis, demeure très convoité, un autre casse-tête – méconnu certes – se pose pour les étrangers désireux de devenir Tunisiens. Décrocher la nationalité tunisienne est-il un vrai parcours du combattant ? Le 26 octobre 2022. Le statut de Kyane Kassiri est très commenté sur la toile. Le Tuniso-Iranien dénonce, dans une publication sur sa page Facebook, le fait que la nationalité tunisienne n'ait jamais été accordée à son père malgré 33 ans de service en tant que médecin-pédiatre en Tunisie. Son père, qui s'est installé en Tunisie à l'âge de 17 ans, doit aujourd'hui « passer par une procédure administrative archaïque, lente et extrêmement stressante pour renouveler sa carte de séjour chaque 24 mois, avec le risque que le renouvellement lui soit refusé et qu'il se voit expulsé de la Tunisie à tout moment ».
« Mon père a quitté son pays à l'âge de 17 ans et s'est installé en Tunisie avec le rêve de devenir médecin. En 1979, la révolution islamique éclate en Iran et mon père se voit bloqué en Tunisie. Il apprend l'arabe. Il apprend le français. Il apprend l'anglais. Il obtient le statut de réfugié. Il étudie la médecine et devient pédiatre. Il se marie à une Tunisienne et éduque des enfants Tunisiens (ma soeur et moi!). En 33 ans de service en tant que médecin à Sousse, il soigne des milliers d'enfants Tunisiens. Par contre, la nationalité Tunisienne ne lui a jamais été accordée », écrit Kyane Kassiri sur sa page Facebook. Un statut très partagé et qui obtient des dizaines de messages de soutien et d'indignation.
« Mon père a donné 44 ans de sa vie à la Tunisie, mais n'a aucune garantie de pouvoir finir sa vie ici. L'Etat est ingrat, mais ça on le sait déjà », s'indigne-t-il lançant un appel aux médecins afin de l'aider à obtenir un contrat de travail pour son père « en France, au Canada, ou dans n'importe quel pays qui se respecte », écrit-il.
Le combat que mène le père de Kyane Kassiri est loin d'être isolé. Il est celui de dizaines d'étrangers qui se heurtent chaque jour aux difficultés administratives les empêchant de devenir citoyens tunisiens à part entière. Pourtant, plusieurs d'entre eux ont vécu de nombreuses années en Tunisie, travaillé, payé des impôts et sont mariés à des Tunisien(ne)s.
Le code de la nationalité tunisienne, promulgué par décret beylical en 1956 et modifié d'abord en 1963 et plus récemment en 2010, règlemente l'accès à la nationalité. Dans ses articles 19 et 20, on apprend, respectivement, que « la naturalisation tunisienne est accordée par décret » et que « sous réserve des exceptions prévues à l'article 21 ci-après, la naturalisation ne peut être accordée qu'à l'étranger justifiant d'une résidence habituelle en Tunisie pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de sa demande ». Dans le code de la nationalité tunisienne, le cas de la naturalisation demeure le plus compliqué. S'il est relativement facile pour les femmes mariées à un Tunisien ou les enfants nés de parent tunisien, d'obtenir la nationalité, ceci reste compliqué pour ceux qui souhaitent se faire naturaliser. En effet, en l'absence de délais légaux, le processus de naturalisation peut prendre plusieurs années et, dans certains cas, ne jamais aboutir. Afin d'effectuer cette demande, le citoyen étranger devra adresser sa demande de naturalisation au ministère de la Justice qui se chargera de l'envoyer au ministère de l'Intérieure et ensuite à la présidence du gouvernement. Ainsi, la naturalisation est accordée par décret publié dans le Jort.
La nationalité tunisienne est considérée par la Tunisie post-indépendance comme un véritable privilège, un symbole de souveraineté nationale auquel il est très difficile d'accéder. De nombreux étrangers payent, aujourd'hui encore, les frais de cet excès de nationalisme…