Bonne année à tous. Que 2023 soit pleine de succès, de santé et de réussites pour vous tous, qui que vous soyez. Le président Kaïs Saïed a réussi à me surprendre samedi dernier avec ses vœux de fin d'année fédérateurs et positifs. J'aurais parié le contraire. À 72 heures d'intervalle, le président de la République est capable de changer de 180° son discours. Le 28 décembre, il était dans la colère pathétique et les invectives clivantes. Le 31 décembre, il est devenu rassembleur et aimable. Que s'est-il passé entre-temps ? Lequel des Kaïs Saïed croire ? Malin celui qui apportera une réponse. Pour finir l'année, le président s'est rendu à une épicerie de la Cité Intilaka d'où il a lancé ce message subliminal (pas si subliminal que ça) que c'est par là qu'il y aurait un départ (Intilaka signifiant départ en arabe). Nonobstant le message à trois balles, que veut dire départ ? Départ de quoi ? Départ vers où ? Cela fait un an et demi que le président s'est accaparé les pleins pouvoirs et il n'est pas encore parti ? Osons donc croire qu'il parte cette année. Si c'est lui-même qui le prophétise, on ne va pas le contredire. Dans l'épicerie qu'il a visitée, le chef de l'Etat a acheté une bouteille d'huile. Le message (supposé être subliminal aussi) est que l'huile existe sur le marché et qu'il n'y a pas de pénuries comme le disent les (méchants) médias complotistes et corrompus. Qui croire ? Le président de la République qui a réussi à trouver l'huile dans une épicerie d'un quartier populaire ou nos propres expériences dans les grandes surfaces ? Malin celui qui apportera une réponse.
Le président de la République a voulu finir l'année sur une note positive et optimiste. La réalité est cependant légèrement plus complexe que cela et ne change pas à la faveur d'un discours télévisé et d'une visite inopinée. Lundi 2 janvier 2023 a démarré avec une grève des transports. Pas de taxis, pas de bus pour les centaines de milliers d'usagers tunisois de transports publics. À la Cité Intilaka, là où est allé le président le 31 décembre, on a observé ce matin des manifestations de colère. On a bloqué les routes et on a incendié des pneus. Est-ce « l'intilaka » d'une grogne populaire généralisée ? « Il se fout de nous, il n'a fait que mettre de l'huile sur le feu », commente un résident du quartier, véritablement en colère. Ce citoyen fait partie des 2,7 millions d'électeurs de Kaïs Saïed en 2019 et des trois millions d'électeurs qui ont voté « oui » pour la nouvelle constitution Le 25 juillet 2021, ce citoyen a cru en les belles paroles du président. Un an et demi après, il déchante. Il a fini par comprendre que le bonhomme ne fait que des promesses en l'air et n'est capable de rien. « C'est un as de la parole, il n'y a pas à dire, mais concrètement il n'y a rien. Tout est devenu cher et inaccessible, on sent la pauvreté gagner du terrain, on sent la misère à plein nez, il n'y a plus d'huile, de café et de sucre, on doit user du système D pour obtenir deux briques de lait et en face, le président nous parle de corrompus et de complotistes. Que fait-il ? Pourquoi ne les attrape-t-il pas ? Pourquoi nous laisse-t-il dans cette misère ? Le pire, c'est quand il sort pour nous dire que tout va bien et que les réseaux sociaux sont en train de mentir. C'est faux, les réseaux sociaux disent la vérité, le président ne nous écoute pas, il ne nous dit pas la vérité », témoigne-t-il. Désemparé, ne croyant plus les politiques (tous les mêmes), ce citoyen a boycotté les législatives du 17 décembre.
Le message du 17 décembre était on ne peut plus clair : le peuple a boycotté sciemment les élections législatives avec à peine un million d'électeurs, d'après les chiffres officiels de l'Isie. Le président n'a pas écouté le message et a déclaré que ces 11,22% qui sont allés voter sont meilleurs que les 99% qui votaient sous les anciens régimes. Ce déni n'est pas passé chez la classe politico-médiatico-intellectuelle qui a multiplié les appels à la démission du président après le score affligeant des législatives. Cette classe est devenue inaudible, ces dernières années et c'est par cette brèche que s'est engouffré Kaïs Saïed en 2019. Sauf que voilà, cette classe n'est plus si inaudible qu'elle l'était il y a quelques mois encore.
Après un an et demi de pouvoir totalitaire, l'inefficacité présidentielle est flagrante. On commence de nouveau à écouter les personnes sensées et les experts, car les faits sont là pour prouver la vanité présidentielle. Une certaine grogne a commencé par monter et a trouvé sa plus belle illustration civique le 17 décembre 2022. En guise de réponse, le président a lancé un pied de nez sur fond de « j'y suis, j'y reste ». Le 31 décembre, l'achat d'une bouteille d'huile devant les caméras peut être considéré comme un nouveau pied de nez, car Kaïs Saïed essaie de démontrer l'inverse de ce que tout un chacun sait. Ce qu'il a fait porte un nom : enfumage. On peut même lui trouver un message subliminal, il est en train de jeter de l'huile sur le feu. Il peut dire que la loi de Finances est bonne, alors que tous les experts affirment le contraire, mais il ne peut pas dire que l'huile existe, alors que celle-ci est introuvable. Kaïs Saïed veut convaincre le peuple que le ciel est ensoleillé, alors qu'il est en train de pleuvoir des cordes. Ça a marché un temps, mais ça ne pouvait pas marcher tout le temps. La grève des transports de ce matin est une nouvelle manifestation de la grogne. Elle sera suivie par d'autres, car le peuple n'en peut plus des pénuries, de l'inflation, de l'inefficacité et du déni du pouvoir putschiste.