L'Open Sigma a jeté un véritable pavé dans la mare. Le rappeur K2Rhym se classe parmi les candidats à la présidentielle en tant que concurrent –relativement – sérieux de l'actuel chef de l'Etat. Le loufoque Safi Saïd se confirme en deuxième place et la mauvaise perdante Abir Moussi en profite pour faire son show. Elle, qui n'avait rien trouvé à redire aux sondages de 2019 qui la donnaient favorite des intentions de vote. Si ce classement prouve une chose, c'est le vide sidéral de la scène politique tunisienne aujourd'hui qui permet à des candidats de s'octroyer une place confortable sur l'échiquier grâce à des déclarations médiatiques ou des actions caritatives. Un vide qui permet encore aux futurs électeurs d'envisager Kaïs Saïed pour un deuxième mandat même s'ils sont une majorité à dire que le pays va mal. Leur argument ? « Qui d'autre sinon ? ». Après les élections législatives et le patchwork politique qu'elles ont offert, la présidentielle fait son entrée en jeu. On en parle, on débat du sérieux des candidats, on donne son intention aux instituts de sondage et on explique pourquoi tel candidat est favori et un autre non. L'heure pour les candidatures ironiques et loufoques comme celles de Swagg Man (qui n'a légalement pas le droit de se porter candidat), celles plus inattendues comme Nermine Sfar (qui prend visiblement sa candidature très au sérieux) ou celle de Abir Moussi (qui s'indigne de ne pas se voir parmi les premiers). Mais de quoi parlons-nous au juste ? Qui vous a dit qu'il y aura réellement un scrutin pour Carthage en 2024 ?
En théorie, selon la nouvelle constitution de 2022, « le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans, lors d'élections générales, libres, directes et confidentielles durant les trois derniers mois du mandat présidentiel. Si un empêchement entrave le déroulement des élections à la date fixée à cause d'une guerre ou d'un péril imminent, le mandat présidentiel est prorogé par une loi jusqu'à la fin des causes ayant conduit à son report. Le président de la République ne peut renouveler sa candidature qu'une seule fois ». Donc en théorie, le mandat présidentiel se termine en 2024, soit cinq ans après le scrutin d'octobre 2019 qui a donné Kaïs Saïed gagnant à la magistrature suprême. Sauf que voilà, la constitution parle bien d'un danger imminent. Une mention qui existait bien dans la version de 2014 et qui a été reconduite dans celle de 2022. Dans ce cas de figure, le président peut renouveler son mandat. La constitution stipule dans ce cas-là que « le président de la République ne peut exercer pour plus de deux mandats entiers, successifs ou séparés ». Ceci offre du moins la possibilité d'un deuxième mandat successif « en cas de péril imminent ».
Et ce péril imminent, nous sommes en plein dedans depuis le 25 juillet 2021, date de l'activation de l'article 80 de la constitution de 2014, du gel du parlement, de l'annonce de l'Etat d'exception et de l'accaparation de tous les pouvoirs. Cet état d'exception est encore en vigueur aujourd'hui encore. Serait-il possible donc que le chef de l'Etat invoque ce même péril imminent pour annoncer que le pays n'est pas encore prêt à une élection présidentielle et que lui devra rester à la tête de l'Etat pour le conduire à bon port. Cette éventualité n'est en effet pas exclue si on observe la manière dont l'actuel président de la République gère l'Etat. Il invente ses propres symboles, il réécrit l'histoire, il refuse toute critique et toute remise en cause et il s'isole – et nous isole avec lui – comme jamais. L'Omni-président serait-il capable de céder le pouvoir, lui qui refuse même de le partager avec un autre ? Pour l'instant, Kaïs Saïed a une lecture très personnelle des faits et des chiffres qui lui sont présentés. Il donne aux chiffres la dimension qui l'arrange et leur fait dire uniquement ce que lui veut entendre. Les sondages d'intention de vote le placent de toute évidence en tête d'une éventuelle prochaine présidentielle. Lui qui préfère lire les résultats des législatives en combinant les deux tours et qui fait dire à un 11% que le peuple a donné son approbation, n'aura aucun mal à se gargariser de ce sondage. Il est en effet facile de voir uniquement ce qu'on a envie de voir. Il n'est donc pas exclu que Kaïs Saïed invoque le sacro-saint péril imminent pour justifier, encore un peu plus longtemps, sa place au sommet de l'Etat. Il pourrait continuer à clamer haut et fort que personne ne sera capable ou n'aura suffisamment de validation populaire pour le suppléer. Pour l'instant, le vide politique qui s'est creusé au fil des années à cause de l'effritement de la gauche, de la mauvaise-gestion et la fourberie des islamistes et le coup de massue du 25-Juillet, ne fait que lui donner raison.
Kaïs Saïed sait très bien qu'il lui suffirait aujourd'hui d'annoncer une élection présidentielle pour 2024, de donner une date, pour absorber – du moins en partie – la pression politique en pleine effervescence autour de lui. Pourtant, il ne le fait pas et refuse même d'aborder le sujet. Vous êtes-vous demandés pourquoi ?
Nermine Sfar, K2, Abir Moussi, Safi Saïd et les autres devront donc attendre… Pour l'instant, si aucune date n'a été avancée, il faudra attendre 2024 pour être fixés. Et s'il venait nous dire que le pays n'a pas besoin d'un président et que la volonté populaire prime sur les vils calculs électoraux ? En 2024, tous présidents ?