En prison depuis le 17 avril 2023, Rached Ghannouchi, 82 ans, entame une grève de la faim pour protester contre l'injustice qu'il subit. Par cette bataille de l'estomac vide, le chef islamiste joue à quitte ou double, soit il précipite sa propre fin, soit il provoque celle du régime de Kaïs Saïed, lui-même très vacillant. Après Jaouhar Ben Mbarek, en début de semaine, c'est au tour de Rached Ghannouchi d'entamer une grève de la faim pour protester contre l'injustice de l'incarcération sur la base de chefs d'accusations très graves. Parce qu'ils ont osé s'opposer au régime putschiste de Kaïs Saïed, et travailler à sa chute, les deux politiciens ont été accusés de complot contre l'Etat et se trouvent en prison. Le premier depuis le 24 février, le deuxième depuis le 17 avril. Le complot contre l'Etat est la trouvaille du régime pour couper l'herbe sous le pied de l'opposition. En tout, le régime a monté quatre affaires du genre faisant impliquer malgré eux, des politiciens, des artistes, des journalistes, des hommes d'affaires ou de hauts fonctionnaires. En tout, une bonne vingtaine d'hommes politiques se sont retrouvés derrière les barreaux risquant la prison à perpétuité, voire la peine capitale. Les accusations sont fallacieuses et les dossiers sont vides. Peu importe, l'essentiel est de réduire au silence toute voix opposante. D'ailleurs, on ne peut même plus en parler, puisque depuis le 17 juin, la justice interdit formellement le traitement médiatique de ces affaires. Pour avoir violé cette interdiction, l'avocate Islem Hamza s'est retrouvée poursuivie. Face au black-out médiatique imposé de force, l'injustice flagrante et les dossiers vides, les prisonniers se sont retrouvés seuls, ne sachant plus quoi faire pour se faire entendre. L'idée d'une grève de la faim est l'ultime recours pour se faire entendre. À corps défendant, les politiciens sont prêts à mettre leur vie en danger. Assurément, Kaïs Saïed ignore qui c'est Sun Tzu et n'a jamais lu son incontournable « L'art de la guerre » qui dit qu'il faut toujours laisser à l'ennemi une porte de sortie, sinon il se bat avec la rage du désespoir et risque d'infliger des pertes sévères. En entamant cette grève de la faim, sachant pertinemment que le suicide est strictement interdit en islam, le chef islamiste fait part de son désespoir au monde entier. Il est carrément prêt à mourir. Il impose le tempo à un président de la République qui ne cesse de multiplier les erreurs depuis son putsch du 25 juillet 2021. L'arrestation de Rached Ghannouchi a été fortement bien accueillie par un pan de Tunisiens, qu'ils soient partisans ou pas de Kaïs Saïed. L'ancien président du parlement a tellement fait de mal au pays, il a tellement violé de lois et de règlements que d'aucuns estiment que sa place naturelle est en prison. Kaïs Saïed aurait dû faire arrêter Rached Ghannouchi dès le lendemain du putsch et l'épingler pour le financement illicite de l'étranger de son parti ou encore de fraude électorale. Faire monter un dossier contre l'islamiste était facile, pour un juriste chevronné, tant il a amassé de casseroles ces dernières années. Sauf que Kaïs Saïed n'a rien du juriste chevronné et ne semble pas en avoir dans son entourage. Plutôt que de monter des dossiers solides et crédibles devant l'opinion publique nationale et internationale, Kaïs Saïed a attendu plus d'un an et demi pour faire arrêter le chef islamiste et l'accuser de chefs fallacieux et risibles. Le premier motif de son arrestation est qu'on reproche à M. Ghannouchi une déclaration au cours d'une cérémonie ramadanesque du Front de salut dans laquelle il a dit : « Toute tentative d'éliminer une des composantes politiques ne peut mener qu'à la guerre civile ». Aux yeux du régime, ceci est une menace et c'est suffisant pour le faire arrêter. Ce qui fut le cas dès le lendemain de la déclaration. Ce n'est qu'ensuite, bien des semaines après, qu'on lui a « trouvé » d'autres accusations pour l'impliquer malgré lui dans l'affaire complexe d'Instalingo, le 9 mai, et celle du complot contre l'Etat. Pour les observateurs avisés, il ne fait pas l'ombre d'un doute que Rached Ghannouchi est détenu injustement. Les dossiers pour lesquels il y a eu des mandats de dépôt ne justifient pas, à eux seuls, la détention. Ils partent du principe de justice que la liberté est la règle et la détention est l'exception. Pour Kaïs Saïed et ses partisans, la forme importe peu, l'essentiel est d'atteindre son objectif. Même la loi importe peu pour le président de la République, si jamais elle dessert la cause. Il a beau prétendre respecter la loi, la réalité est autre. « Un grand dirigeant commande par l'exemple et non par la force », disait aussi Sun Tzu. Mais Kaïs Saïed se croit tout permis, d'où l'arrestation de son adversaire ancien président du parlement. Pendant des années, Rached Ghannouchi s'est considéré au-dessus de la loi et pensait bénéficier de l'appui intérieur, grâce à ses militants, et l'extérieur, grâce à ses amis algériens, qataris, américains et turcs. La déception était cependant au rendez-vous. Une première fois le 26 juillet 2021 quand il a fait appel à ses partisans pour venir devant le parlement et contrer le putsch. L'échec fut total. Une deuxième fois après son arrestation. Il a pensé qu'il allait y avoir des manifestations dans le pays et des pressions étrangères. Il n'y a rien eu. Rached Ghannouchi était lâché par tous. En août dernier, Business News écrivait que l'homme était à plat, vraiment à plat. De l'intérieur de sa cellule de neuf mètres carrés, le président d'Ennahdha a fini par comprendre qu'il ne peut plus compter sur l'extérieur pour le libérer. Il a également compris qu'il commence à être oublié, puisque les médias (qui ne l'ont jamais aimé) ne parlent plus de lui et que le président a d'autres chats à fouetter. Il lui fallait donc une tactique pour revenir sur le devant la scène et la grève de la faim en est une. Il sait que sa santé est un enjeu important pour Kaïs Saïed et il en joue. Un ancien prisonnier, libéré récemment, confie à Business News que Rached Ghannouchi reçoit le médecin deux fois par jour. Il est l'unique prisonnier à avoir ce privilège. À chaque visite, on mesure la tension et on observe son état de près. Très clairement, le régime ne veut pas que l'islamiste meure derrière les barreaux. On a observé la même chose, il y a quelques mois, avec la grève de la faim de Noureddine Bhiri qui, selon son entourage, n'avait plus que quelques heures à vivre avant que le régime ne daigne le libérer et de l'emprisonner de nouveau par la suite. Avec cette grève de la faim, Rached Ghannouchi joue donc à quitte ou double. Soit il est libéré et il gagne. Soit il meurt en martyr et il gagne. En tout état de cause, il réussit à réoccuper le devant de la scène, dessine Kaïs Saïed en tyran et l'oblige à réagir. Peu importe qu'il risque de signer sa propre fin, avec cette grève de la faim, Rached Ghannouchi se bat avec la rage du désespoir en espérant signer la fin de son adversaire. Assurément, lui, connait l'art de la guerre, puisqu'il l'a pratiquée sa vie entière.