Beaucoup sont les Tunisiens qui ont commenté l'adoption en France de la nouvelle loi immigration. Beaucoup ont critiqué les mesures adoptées et beaucoup ont jugé cette loi honteuse pour la France des droits de l'Homme, la France de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. C'est effectivement une tournure historique dans la politique française. Cela s'approche de plus en plus du concept de « préférence nationale » tant défendu par l'extrême droite. D'ailleurs, Marine Le Pen ne s'était-elle pas félicitée d'une victoire idéologique de son camp ? L'héritière de Jean-Marie Le Pen peut s'en réjouir. Quoique dise la Macronie, l'accord trouvé autour du texte de loi est un coup porté à cette idée de barrage républicain et ouvre désormais un chemin tout tracé à l'extrême droite. Beaucoup de Tunisiens pour qui la France représentait un idéal de liberté et de démocratie sont donc déçus. Ils sont en deuil de cet idéal. Mes condoléances les moins sincères. Le fait est que cette loi matérialise concrètement le glissement xénophobe et la banalisation du racisme opéré depuis des années sur la scène politique et la société française. Ce glissement ne concerne pas uniquement la France, mais aussi différents pays européens. Il ne faut pas se bercer d'illusion, être un étranger venu d'Afrique ou d' « Arabie » n'a pas trop bonne presse. Qu'il soit intégré, assimilé ou pas, cet étranger du sud sera tôt ou tard ramené à sa condition « inférieure ».
Ainsi, les Tunisiens s'indignent, par exemple, du durcissement du regroupement familial, de l'instauration d'une caution pour les étudiants, de la déchéance de nationalité, de l'instauration de quotas migratoires, du tour de vis sur le droit de sol ou des restrictions sur les aides sociales. Cette loi est honteuse pour la France, soit. Mais qu'en est-il de la Tunisie ? Beaucoup de Tunisiens détournent le regard sur ce qui se passe ici. A-t-on oublié la vague de racisme et de xénophobie suscitée par l'arrivée des migrants subsahariens ? A-t-on oublié la chasse aux migrants et à toute personne noire ? Des gens se sont retrouvés chassés de chez eux, ont perdu leur travail, ont été agressés et lynchés. C'était il y a un an. L'afflux de migrants désespérés, tentant de faire la traversée vers l'Europe, a fait ressortir ce qu'il y a de plus vil dans la société et la classe politique tunisienne. Notre Président n'avait-il pas repris la rhétorique de la théorie du grand remplacement en affirmant qu'il existait un plan criminel pour changer la composition démographique en Tunisie ? N'avait-il pas dit que ce complot consistait à faire installer les Subsahariens sur le sol tunisien afin d'affaiblir notre génialissime et pure identité arabo-musulmane ? Des propos qui lui ont valu d'ailleurs les félicitations d'un certain Eric Zemmour, pour vous dire. Ces propos, malgré les tentatives de rétropédalage, n'avaient-ils pas aggravé la situation des migrants ? Beaucoup de Tunisiens adhèrent à cette théorie énoncée par le Président. Un racisme décomplexé a pu ainsi s'exprimer et s'épanouir dans l'impunité. On a même vu des députés lancer le slogan : « La Tunisie aux Tunisiens ». Ça ne vous rappellerait-pas quelque chose ?
Cette lame de fond xénophobe et raciste persiste. Actuellement, des centaines de migrants, voire plus, ont été refoulés des côtes tunisiennes puisque nos autorités se sont transformées en gendarme des frontières européennes. Ces Migrants ont été refoulés vers les zones rurales aux alentours des villes de départ et ils ont été abandonnés là sans rien. Hommes, femmes, enfants, nourrissons vivent dans les champs ou dans les oliveraies dans des conditions inhumaines. En plein hiver (comme en plein été d'ailleurs), ils sont livrés à leur triste sort sans nourriture ni soins, sans eau ni couvertures, sans lieu d'hébergement. Et quand ces gens se révoltent, ils sont réprimés violemment par les forces de l'ordre et beaucoup sont déportés en plein désert et expulsés aux frontières libyennes sans aucun ménagement ou respect de la dignité humaine.
Oui, on peut dénoncer l'introduction du concept de préférence nationale en France. Sauf qu'en Tunisie ce concept est un fait. L'accès au séjour ou au travail pour un étranger est extrêmement difficile. Nous avons des dispositifs juridiques très durs dans ce domaine. Je vous invite à consulter le texte relatif à la condition des étrangers en Tunisie. Edifiant. L'octroi ou le renouvellement d'un titre de séjour est un véritable casse-tête. Les délais sont courts et les autorités prolongent rarement ces autorisations, c'est ainsi que plusieurs étrangers se retrouvent en situation irrégulière malgré eux. En plus, ils sont obligés de payer des pénalités pour chaque jour passé en Tunisie. Certains, dans l'impossibilité de le faire se trouvent bloqués et risquent même la prison. Je vous invite également à consulter le Code du travail où il est énoncé par exemple clairement que « le recrutement d'étrangers ne peut être effectué lorsqu'il existe des compétences tunisiennes dans les spécialités concernées par le recrutement ». D'autre part, pour un étranger qui demande la nationalité tunisienne, c'est la galère. Si un étranger souhaite être naturalisé Tunisien, je lui conseille de se munir de beaucoup de patience et de sang-froid… On peut énumérer une longue liste de mesures qui ne rendent pas facile la vie des étrangers. Même les binationaux sont discriminés pour vous dire, notamment avec la nouvelle loi électorale promulguée par le Président et qui leur interdit de se présenter aux élections dans les circonscriptions en Tunisie. S'il ne fait pas bon être migrant ou étranger du sud en France ou en Europe, ça l'est tout autant en Tunisie. Ne nous voilons pas la face.