Comme au premier, le second tour des élections locales a été très largement boycotté par les électeurs. Officiellement, le taux de participation est de 12,53%, ce qui laisse entendre que les Tunisiens n'adhèrent vraiment pas au programme qui leur est imposé. Les chiffres sont là et ils sont têtus. Ils sont toujours têtus les chiffres quoique dise le président de la République qui continue à croire qu'il est aimé par tout le peuple. Alors que les taux de participation aux élections d'après la révolution dépassaient toujours les 50%, les rendez-vous électoraux organisés après le 25 juillet 2021 ont tous été marqués par un désaveu cinglant. Au référendum du 25 juillet 2022, le taux de participation serait de 30,5% (2,8 millions de votants d'après l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie)). Aux législatives de 2022-2023, le taux de participation serait de 11,22% au premier tour (un million d'électeurs) et de 11,4% au second tour (895.000 électeurs). Aux élections locales de 2023-2024, le taux de participation aurait été quasiment similaire avec 11,66% au premier tour (un million d'électeurs) et 12,53% au second tour (520.000 électeurs). Il s'agit là des chiffres officiels de l'Isie, qu'on ne peut contester au regard du décret 54 liberticide. Réellement, sur terrain, les Tunisiens n'ont pas vu de queues devant les bureaux de vote lors de ces élections locales et ont du mal à voir des doigts bleus dans leurs entourages. Logiquement, plus d'un Tunisien sur dix aurait dû avoir cette encre bleue sur le doigt, signe qu'il a voté.
Indépendamment de l'authenticité des chiffres de l'Isie, qui a multiplié les plaintes judiciaires contre ceux qui mettaient en doute son indépendance, et quand bien même ces chiffres seraient justes, il est évident que l'écrasante majorité du peuple tunisien a boycotté les scrutins décidés par le président Kaïs Saïed. Le peuple est-il désintéressé ou a-t-il manifesté son mécontentement par ce boycott ? Probablement les deux à la fois. Le fait est que ce même peuple était présent en masse durant toutes les élections précédant le 25-Juillet. Par cette désaffection généralisée, il envoie un message clair à son président, la politique et les élections ne l'intéressent plus. Depuis le 25-Juillet, Kaïs Saïed ne cesse de répéter le slogan « ce que le peuple veut », laissant entendre par là qu'il est au service de ses volontés. La réalité est tout autre. Le peuple a beau boycotter les cinq rendez-vous électoraux qu'il a organisés, le chef de l'Etat continue son chemin comme un TGV. Il n'est pas à l'écoute du peuple, malgré les messages répétés de ce dernier. Kaïs Saïed a beau dire que la constitution est celle qu'écrivent les jeunes sur les murs, aujourd'hui un artiste de rue est en prison pour un graffiti le critiquant. Il y a un grand gap entre le peuple et son président et ce gap s'est manifesté à chaque rendez-vous électoral. Il peut le nier, il peut s'offrir des bains de foule au milieu de badauds, les chiffres restent têtus.
Comme la majorité de ses prédécesseurs, et comme plusieurs de ses homologues, Kaïs Saïed s'est isolé dans son palais présidentiel et s'est déconnecté du vrai terrain. Pour mesurer sa popularité, il se fie uniquement aux rapports édulcorés remis par ses services et aux bains de foule lors de ses visites dites inopinées. Pour mesurer la véritable popularité d'une personnalité politique, il faut lire les médias indépendants et observer les taux de popularité émis par les instituts de sondage spécialisés. Ce sont là les deux thermomètres uniques à la disposition des gouvernants. Or Kaïs Saïed a cassé ces deux thermomètres en mettant au pas l'ensemble des médias publics et en exposant plusieurs médias privés au décret 54 liberticide. Le crime de lèse-majesté est rétabli dans le pays et on ne compte plus les plaintes et les incarcérations frappant les simples citoyens ayant exprimé leur opinion sur le président. Le régime de Kaïs Saïed est frileux et ne supporte plus les voix discordantes. Il réagit au quart de tour à de simples critiques. Ses aficionados multiplient les attaques infâmantes contre l'opposition et des dizaines de personnalités politiques sont aujourd'hui en prison ou en exil. Le Président n'accepte plus de voir que les choses qui lui plaisent. Les médias publics, redevenus propagandistes, chantent ses louanges et ne parlent que des activités positives de son gouvernement. Les médias privés s'autocensurent tout comme les instituts de sondage dont les baromètres étaient autrefois suivis de près chaque mois.
Le résultat de cette politique répressive est que le pouvoir ne voit plus les choses comme elles sont. Il a déformé sa vision, mais en aucun cas il ne pouvait déformer la réalité. Comme répété par les médias qui ont encore voix au chapitre, comme crié par les quelques opposants encore libres et comme ressenti dans les cafés et les marchés, Kaïs Saïed est loin, très loin, de la popularité dont il se prévaut. Il peut dire que les médias sont corrompus, que les opposants sont intéressés et que l'impression de rue est subjective, il ne peut pas répondre objectivement aux chiffres cinglants des cinq scrutins qu'il a organisés. Le silence du peuple, dans ces élections, est des plus assourdissants. En cassant les thermomètres démocratiques classiques et en emprisonnant ses adversaires, Kaïs Saïed a édulcoré sa vision, mais il n'a pas changé la réalité de l'impopularité de son projet. Et ceci est prouvé par les chiffres donnés par une instance dont il a lui-même nommé les membres.