Les chiffres sont têtus et s'ils prouvent déjà une chose ce soir, samedi 17 décembre 2022, c'est que les Tunisiens n'en ont que faire des élections législatives de 2022. Le 25 juillet 2021, ils étaient près de sept millions de votants à ne pas dire « oui » au référendum de Kaïs Saïed – entre ceux qui ont voté non, blanc ou se sont abstenus de voter, préférant ne pas cautionner le projet despotique de Kaïs Saïed. Aujourd'hui, ils ont été plus de huit millions à ne tout simplement pas aller voter. Le nombre de votants inscrits sur les registres de l'Isie pour les législatives de 2022 s'élève à 9.136.502 personnes. 8,8% sont allées voter, autrement dit 803.638 personnes. Les autres, soit 8.332.864 personnes, ont décidé de ne pas se rendre à leurs bureaux de vote, et ce malgré une grande campagne de promotion pour ces législatives. Discours présidentiels, campagne promotionnelle, conférences de presse, SMS envoyés aux citoyens, rien n'a semblé convaincre les 8.332.638 abstentionnistes à glisser un bulletin dans l'urne en ce samedi 17 décembre, proclamé désormais par Kaïs Saïed, fête « officielle » de la révolution tunisienne. Malgré la symbolique des dates, expressément voulue par le chef de l'Etat, les Tunisiens avaient d'autres chats à fouetter. La petite finale de la Coupe du Monde de football et le début des vacances scolaires pendant un weekend aux températures estivales, ont réussi à dissuader les citoyens de faire la queue devant les bureaux de vote. « Les seules queues qu'on peut observer aujourd'hui sont celles devant les débits de boissons alcoolisées », ont ironisé des internautes sur le réseau bleu. Les bureaux de vote étaient en effet déserts et aucune file d'attente n'a été observée devant l'un d'eux. Nous sommes loin, très loin, des taux de participation enregistrés en 2014 et des files de plusieurs heures de 2011.
Le taux de participation de décembre 2022 est historiquement le taux de participation le plus faible depuis 2011. Le taux de participation a en effet commencé à s'effriter depuis 2014. Si l'élection présidentielle de 2019 a, elle, suscité un grand engouement et permis de faire élire l'actuel locataire de Carthage avec un large plébiscite, depuis qu'il est en poste, plus aucun scrutin ne semble rassembler les masses.
Election Taux de participation
Nombre de votants Constituante 2011 51,97% 4,3 millions Présidentielle 2014 60,09% 3,2 millions Législatives 2014 68,36% 3,6 millions Municipales 2018 35,65% 1,9 million Législatives 2019 41,70% 2,9 millions Présidentielle 2019 56,80% 3,9 millions Référendum 2022 27,54% 2,4 millions Législatives 2022 8,8% 803.638
Ces élections, de par le grand nombre de candidats – 1058 dont nombreux sont inconnus au bataillon - et le caractère loufoque de certains d'entre eux, ont engendré une large campagne de boycott. Le Parlement européen a annoncé, le 15 décembre, qu'il boycottera les législatives tunisiennes étant donné qu'« aucun membre individuel du Parlement européen n'a reçu de mandat pour observer ou commenter ce processus électoral au nom du Parlement », refusant ainsi de cautionner tout le processus. L'organisation Al Bawsala, qui avait contrôlé les anciens parlements tunisiens depuis 2011, a annoncé qu'elle boycottera la nouvelle composition parlementaire évitant ainsi de « conférer de la légitimité à une organisation fictive qui sera instaurée uniquement dans le but de soutenir les orientations du président de la République en accordant à sa construction politique un esprit inauthentique de démocratie participative ». Les partis politiques du Front de salut mais aussi Attayar, Ettakatol, Al Jomhouri, Al Qotb et le parti des Travailleurs ont eux aussi décidé de ne pas être mêlés à ces élections. Business News avait d'ailleurs décidé de boycotter ces législatives, à cause de nouvelles règles de jeu restrictives empêchant tout journaliste de faire son travail correctement sans se voir menacé par le fameux décret-loi 54 liberticide du 13 septembre 2022. En effet, la critique de n'importe quel candidat ou même de l'Isie expose le journaliste à des peines variant de cinq à dix ans de prison. Parmi les décisions arbitraires de l'Isie qui empêchent le travail ordinaire des journalistes, on note l'interdiction de diffuser des sondages « sorties des urnes » ou encore l'auto-octroi des prérogatives de la Haica, c'est-à-dire du contrôle des médias.
Le 25 juillet, malgré un taux de participation pourtant jugé faible à l'époque, Kaïs Saïed avait pourtant « salué » le plébiscite de 92,3% avec lequel son référendum a été adopté, préférant fermer les yeux sur le nombre pourtant important d'abstentionnistes. Il est fort à parier qu'il fera la même chose aujourd'hui malgré un boycott des plus éloquents dont il accusera certainement « les forces obscures », d'en être les instigateurs…