L'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est ainsi que l'on peut résumer la situation d'une jeune startup tunisienne : Paymee. Une startup qui aurait pu devenir un fleuron de l'économie numérique dans un pays qui prétend encourager l'initiative personnelle et l'entrepreneuriat des jeunes pour, entre autres, remédier à un taux de chômage élevé. Aujourd'hui, cette startup est à l'arrêt à cause d'un Etat embourbé dans le passé. À sa création en 2018, Paymee de Marwen Amamou, a lancé un service de portefeuille électronique qui, une fois alimenté, permet d'effectuer des paiements électroniques dans une Tunisie qui, alors, souhaitait limiter l'utilisation du cash. Un an plus tard, soit en 2019, la startup a obtenu son label startup conformément aux dispositions du Startup Act; le fameux cadre juridique régissant les startups et un des grands accomplissements qui représentait une fierté pour l'écosystème entrepreneurial qui rêve d'une Tunisie digitale. Ce rêve s'est vite effrité, du moins pour Paymee. Sans surprise, pour des raisons réglementaires, la startup a dû se réinventer devenant une solution de paiement en ligne pour les entreprises. Ne pouvant remplir la principale condition pour obtenir l'agrément d'établissement de paiement - cinq millions de dinars de capital - Paymee a créé un QR Code permettant de remplacer les terminaux de paiement électronique (TPE). Dans ce parcours pour l'obtention de l'agrément d'établissement de paiement, la jeune startup a, en effet, fait chou blanc, compte tenu de la rigidité des conditions d'éligibilité et du temps administratif qui, nul ne l'ignore, se compte en années-lumière en Tunisie. Paymee a même perdu deux investisseurs en un an et demi de course interminable pour être en conformité avec la réglementation en vigueur. Le premier est parti, car il ne pouvait attendre jusqu'à la publication des décrets d'application de la circulaire de la Banque centrale sur les établissements de paiement et le second car il n'a pu obtenir, auprès de la BCT, un document attestant de la reconnaissance de l'activité de Paymee sur le marché tunisien.
En dépit de ces obstacles, le fondateur de Paymee s'est armé de patiente et de volonté a réussi à percer et à faire grandir sa startup en gagnant la confiance de centaines de clients. En 2022, croyant en ce potentiel indéniable, le fonds d'investissement P1 ventures a, décidé d'y investir permettant ainsi à Paymee de clôturer un tour de table et de se hisser à un niveau supérieur dans son développement. Alors que Marwen Amamou, pensait son travail de Sisyphe presque terminé et la montagne de freins surmontée, il a été rattrapé par le tsunami de complotisme qui ravage le pays depuis deux ans. La startup a été accusée de blanchiment d'argent, par ignorance ou par mauvaise foi. Si l'on se tient aux faits, Paymee n'est que facilitateur de paiement et non un établissement de paiement. Paymee n'est pas la seule à exercer cette activité. Des facilitateurs de paiement, il en existe plusieurs en Tunisie. D'ailleurs, pour apporter davantage de transparence et accompagner les fintechs tunisiennes opérant dans ce domaine, la BCT a publié en janvier 2024, les lignes directrices pour l'exercice de l'activité de facilitateur de paiement. Cependant, la startup a vu ses comptes gelés tout comme ceux de son fondateur sur la base d'un cafardage - qui plus est infondé - et a plongé dans une débâcle sans précédent.
S'exprimant sur l'affaire, la startup a précisé dans un communiqué que suite à une déclaration de soupçons reçue par la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) – dont l'émetteur est inconnu, elle a fait l'objet d'une enquête, en plus d'une affaire pénale par la CTAF, avec une inspection minutieuse des activités par la Banque centrale de Tunisie. Onze mois plus tard et bien que l'enquête de la BCT a blanchi la startup des soupçons d'activité illégale, l'enquête reste ouverte. Selon le même communiqué, « une note de la BCT stipule que les activités de facilitation de paiement doivent être conduites en partenariat avec une banque, garantissant le respect de certains critères réglementaires. Cette directive provisoire marque un pas vers la reconnaissance et l'encadrement de notre rôle dans le secteur ». Et pourtant, le gel des comptes de l'entreprise et de son représentant légal est toujours d'actualité, ce qui affecte plus de 750 de clients, compromet gravement leur capacité à respecter leurs obligations financières, et les exposent à de sérieux problèmes bancaires, en plus du risque de cessation d'activité. Pire ! Les poursuites qui visent actuellement Paymee ont eu un effet domino. Elles menacent et la pérennité de la startup et celle de ses clients. Plusieurs ont, d'ailleurs, mis la clé sous la perte, selon une déclaration du fondateur Marwen Amamou à Mosaïque FM. Au total, 30% des clients de la startup sont bloqués et ne peuvent continuer à exercer. M. Amamou n'a cessé de crier qu'il y a péril en la demeure. Rien n'a, toutefois, été fait pour débloquer la situation et permettre à la startup de reprendre ses activités bien que le rapport de la BCT atteste de son innocence des accusations calomnieuses.
Une situation qui soulève de sérieuses interrogations sur les slogans portés par les gouvernements qui se sont succédé en faveur d'une jeunesse désemparée. L'histoire de Paymee n'est qu'une preuve supplémentaire que cette terre n'est, in fine, qu'un immense cimetière pour les idées brillantes et la volonté d'innover. Certes les success stories existent, mais celles-ci se font de plus en plus rares face à un système archaïque qui persiste à assassiner les projets, grands comme petits.