Au pays de la Reine Didon venue du Moyen-Orient fonder Utique et Carthage. J'ai honte. Au pays dont l'étymologie de son nom « Tounes » veut aussi dire « le pays calme » où l'on se repose avant de continuer sa route. J'ai honte. Au pays de Ahmed Bey 1er qui en 1841 abolit l'esclavage et décréta qu'à partir de 1842 tous les enfants de Tunisie naissaient libres et égaux répondant ainsi à l'appel de Toussaint l'Ouverture dans sa lutte contre l'esclavage et le racisme depuis Saint-Domingue un siècle plus tôt. J'ai honte. Au pays qui a vu se succéder sur son sol, Phéniciens, Vandales, Romains, Byzantins, Arabes, Ottomans venus se brasser avec un substrat démographique Numide pour faire de cette merveilleuse terre un creuset, comme le dit feu le grand Habib Boulares. J'ai honte. Au pays où, il suffit de regarder la géographie humaine pour se rendre compte des merveilles que la pollinisation croisée peut produire. J'ai honte. Ce pays dont l'essence même est la diversité et le brassage, un « tout-monde » comme le dit Edouard Glissant, ce pays est aujourd'hui défiguré par le rejet de l'étranger. J'ai honte. Dans ce pays devenu étranger à lui-même, en proie à toutes les aberrations, où on veut réduire le divers à l'unique, la polyphonie à la monodie, l'expansion à la subsomption, l'ouverture au repli. J'ai honte. Dans ce pays où génétiquement à peine 4 % de la population est d'origine arabe, 2% subsaharienne, 5% européenne et 88% Amazighe selon une étude de National Geographic, on fait croire qu'une minorité va remplacer la majorité, on veut nier l'histoire et mettre un terme à ce qui fait notre richesse. J'ai honte. Dans ce pays qui n'a pu éviter les guerres civiles, et les querelles intestines que grâce à la pleine conscience de sa diversité. J'ai honte. Dans ce pays, on est en train d'ériger de nouvelles barrières, flatter les bas instincts, chercher des bouc-émissaires pour justifier nos échecs et notre ineptie. J'ai honte. Dans ce pays où la haine de l'Autre commence par l'étranger et finit par le voisin. J'ai honte. Dans ce pays où l'étranger est en nous, dans la texture des cheveux, la couleur de la peau et des yeux, la tournure d'une phrase, le télescopage des mots et les saveurs des plats, on cherche à nier l'évidence. J'ai honte. Dans ce pays qui n'a grandi que par des additions, on veut le contraindre à la soustraction. J'ai honte. C'est dans ce pays qu'un certain Abu El Hassen Ali Ben Nafi, plus connu sous le nom de Zyrieb s'est réfugié fuyant la persécution des Omeyades, avant d'aller à Cordoue apprendre aux bougres venus du désert (Ajlef essahra) l'art de vivre, de manger, de s'habiller, de se laver, de se divertir, de gouter au raffinement et à la beauté. N'avait-il pas ajouté une cinquième corde au luth (Youd) et ainsi ouvrit la voie à de nouvelles gammes et de nouveaux plaisirs ? En fait, il était Kurde de Mossoul, NOIR aux traits négroïdes et fier de l'être. J'ai honte. Ce pays qui incarnait à lui tout seul tout un continent portant son nom comme un étendard. A l'assaut d'Ifrikya disait Hassen Ibn Noomen à ses troupes conquérantes avec au bout la promesse de volupté et d'art de vivre. J'ai honte. Et la mère de Omar Ibn El khattab, n'était-elle pas une NOIRE « habashiya » ? J'ai honte. Racisme, xénophobie, haine de l'autre, repli, monoculture, non ce n'est pas la Tunisie et ne sera jamais la Tunisie. A tous les anthropologues, les sociologues, les juristes et les droit-de-l'hommistes assumez vos responsabilités, traitez la question avec le sérieux qu'elle mérite et coupez court à tous les fantasmes et tout ce que l'humain peut produire de pire. A toutes mes sœurs et tous mes frères subsahariens, vous êtes Ifrikya et Ifrikya est vous.