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Le racisme demeure enfoui dans le tissu social
173 ans après l'abolition de l'esclavage
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 01 - 2019

Malgré le vote d'une loi criminalisant le racisme, en octobre 2018, les mentalités n'ont pas changé et l'infériorité supposée des Noirs, venus d'Afrique subsaharienne ou de souche tunisienne, reste profondément enfouie dans le tissu social comme dans les esprits
Pour fêter le 173e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a décidé de faire de la journée du 23 janvier de chaque année une journée nationale de l'abolition de l'esclavage et de la traite des humains. Il faut, en effet, remonter à 1846 quand Ahmed Bey 1er, lui-même fils d'esclave, décida par un décret beylical d'abolir définitivement l'esclavage, avant bien des pays développés dans le monde comme les Etats-Unis d'Amérique, en décembre 1865, ou encore la France où il a été définitivement aboli en avril 1848. Procédant par étapes, il avait commencé par fermer « le marché aux esclaves de Tunis et annoncé en décembre 1842 que toute personne née dans le pays était désormais libre ». Pour éviter le mécontentement de la population blanche et assurer à son décret une couverture religieuse, il obtint au préalable des « fatwas des oulémas dont celle, sans précédent dans le monde arabo-musulman, accordée par le grand mufti Sidi Brahim Riahi ». N'empêche, le racisme ne prit pas fin pour autant et les vexations continuèrent à l'égard de ces Noirs qu'on appelait péjorativement « Abd » ou « Chouchen ». Les esclaves affranchis qui, selon les historiens, se comptaient par milliers, constituaient « un sous-prolétariat, végétant dans les petits métiers ou sans métier et vivant dans des habitations précaires ». Ils étaient, le plus souvent, marchands ambulants, masseurs dans les bains maures, domestiques ou nounous qu'on appelait « dada ».
La décision du chef de l'Etat est une juste reconnaissance de cet événement historique. Elle arrive à un moment où la Tunisie, pourtant pionnière dans ce domaine, connaît une flambée raciste sans précédent. Non seulement contre les ressortissants subsahariens mais également contre nos compatriotes noirs. La dernière en date est cette agression en plein cours d'une parente d'élève contre un instituteur à Sfax. Elle vient d'être arrêtée et sera jugée conformément à la récente loi du 23 octobre 2018, relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Il y a un mois, le 23 décembre 2018, dans la nuit, à La Soukra, Falikou Coulibaly, président de la communauté ivoirienne en Tunisie, a été assassiné par une bande de délinquants qui voulaient lui subtiliser son téléphone portable. La nouvelle qui se répand dans tout le pays suscite l'indignation et fait réagir la classe politique et les organisations des droits de l'Homme. Bien sûr, l'on s'est pressé d'amoindrir la portée de l'affaire en affirmant que le meurtre n'avait aucun mobile raciste : Coulibaly fut victime de jeunes délinquants qui l'ont pris pour cible comme ils auraient pris pour cible n'importe quelle personne qui se serait aventurée seule à cette heure de la nuit dans une capitale où les braquages sont légion.
Législation moderniste, mais…
N'empêche, ce meurtre n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Il démontre à quel point la communauté subsaharienne reste la cible d'actes de racisme et de violence en tous genres et combien, même s'il faut éviter de généraliser, cette « culture est enracinée dans la tête d'une bonne partie des Tunisiens », selon Jamila Ksiksi, l'unique députée Noire à l'ARP. « Ce meurtre était prévu », a affirmé pour sa part Yamina Thabet, la présidente de l'Association de soutien aux minorités. « Il y a deux ans à cette même période, a-t-elle rappelé, la communauté congolaise a été attaquée en ce même lieu et une jeune a été assassinée ». C'est suite à ce drame et à une conférence de presse organisée par cette même association en vue d'interpeller les autorités sur la gravité de la situation et les dangers qu'encourent les subsahariens que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, avait annoncé la prochaine adoption d'une loi contre le racisme. La loi fut effectivement adoptée en octobre 2018 et saluée comme une première dans les pays arabes et musulmans. « Mais à quoi a-t-elle servi » ? se demande Yamina Thabet.
Car les faits sont là et prouvent cette contradiction caractéristique de la Tunisie entre des lois modernistes et égalitaires et une réalité qui reste aux prises avec des mentalités peinant à évoluer. Les actes de ségrégation visant la communauté subsaharienne n'ont pas cessé depuis « la Révolution ». La « communauté noire » africaine comme l'appellent certains ou « subsaharienne » comme la qualifient d'autres, composée d'étudiants et de travailleurs, est très souvent soumise à un harcèlement en tous genres, par des patrons véreux, une police laxiste, des services administratifs qui transforment la délivrance de leurs papiers en un vrai casse-tête. Le permis de séjour accordé aux étudiants a une validité de neuf mois seulement et chaque journée dépassée est sanctionnée d'une amende de 25 euros (environ 70 dinars tunisiens). C'est pourquoi le nombre d'étudiants subsahariens inscrits dans les universités tunisiennes a chuté, passant de 12.000 en 2010, à 5.400 actuellement. Et ce n'est pas la proposition récente du ministre de l'Enseignement supérieur d'augmenter leurs frais d'inscription qui va les encourager à rester en Tunisie ou va améliorer leurs conditions d'accueil. La proposition en question a d'ailleurs été rejetée en Conseil des ministres jugeant qu'une telle mesure ne rapporterait pas grand-chose au pays sur le plan pécuniaire, mais écornerait au contraire son image. A noter, par comparaison, que la politique tunisienne en la matière contraste avec celle du Maroc qui multiplie les appels du pied aux étudiants subsahariens dont le nombre avoisine les 20.000, contre un millier seulement en 1994, dont la moitié bénéficie de bourses d'études.
Les travailleurs, eux, vivent souvent dans l'irrégularité et sont de ce fait soumis à diverses tracasseries et à l'exploitation d'employeurs sans scrupules. On les trouve dans les chantiers, les restaurants ou employés comme domestiques. Leurs passeports sont parfois confisqués et leur salaire est inférieur à celui des Tunisiens. La violence fait partie du quotidien de toute cette population africaine. Agressions et tentatives de viol sur de jeunes émigrées noires sont également fréquentes. Sans compter les vexations en tous genres. « J'ai arrêté de compter les insultes, les moqueries et les gestes de discrimination dus à ma peau. Mais c'est rien, comparé à mes amis qui se sont fait gifler dans le métro sans que personne ne réagisse, ou comparé à ceux qui se sont fait égorger un 25 décembre ou qui ont pris des coups et blessures… Rassurez-vous, on va quitter votre beau pays », a écrit Anthony Gianni styliste et designer camerounais, à la suite du meurtre de Coulibaly.
Saâdia, Yamina, Jamila et les autres…
Aujourd'hui encore, les Tunisiens de couleur qui représentent environ 10 % de la population totale, n'échappent pas au racisme. Dans un petit village appelé « El Mdou », à huit kilomètres de Gabès, les quelque trois cents habitants de couleur qui y vivent sont régulièrement victimes de vexations et de brimades. Leurs morts sont enterrés dans un cimetière à part et leurs enfants n'aspirent pas à se marier un jour avec un ou une blanche. Même si un tel cas pouvait se produire, le couple risquerait l'excommunication et les enfants nés de ce mariage mixte seraient interdits de voir leurs grands-parents blancs. Enfin, les flagrants délits de racisme sont presque partout publics et notoires, tels que cet esclandre provoqué par une passagère d'un vol Tunisair qui refusa à une hôtesse de l'air de la compagnie de s'adresser à elle sous prétexte qu'elle était noire et ne méritait pas d'occuper une telle fonction. Réaction immédiate du commandant de bord qui a fait descendre la passagère « raciste ». Dans un hôtel à Mahdia (centre-est), un douanier tunisien noir, en vacances avec sa famille, a fini ses vacances dans un hôpital victime d'une agression par un employé qui a refusé de le servir.
A noter aussi que depuis l'indépendance du pays, aucune personnalité noire n'a accédé aux plus hautes fonctions de l'Etat, ni à un poste ministériel. Pourtant, l'histoire nous apprend que le grand guerrier le général Hannibal Barca était noir.
Ces faits sont consignés par des responsables d'associations qui sont de tous les fronts contre le racisme, à l'exemple de Yamina Thabet, ou de Saadia Mosbah, présidente de l'association « M'nemty » (Mon rêve). Cette dernière a appelé, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 9 décembre 2018, à ce que « la Tunisie proclame son africanité et le Tunisien noir ne doit plus être cette tache de naissance que l'on porte honteusement sur le visage et qu'on veut oublier ou faire disparaître, mais un joli grain de beauté ». Quand le combat n'est pas mené par des députées, telles que Jamila Ksiski, précédemment citée, l'une des plus ardentes militantes pour l'adoption de la loi contre le racisme. D'autres figures de la société civile sont devenues le symbole de cette lutte, comme le célèbre chanteur Slah Mosbah qui fut souvent la cible de « discrimination raciale ». En décembre dernier et alors qu'il était sur le point de se faire opérer, il publia un statut sur sa page Facebook dans lequel il demanda à « être inhumé loin de la patrie et loin des personnes qui lui ont causé du mal ». Comment se fait-il que ce pays qui vient de voter une loi unique dans le monde arabo-musulman criminalisant tout acte raciste agisse de la sorte ? Cette Tunisie qui portait jadis le nom de tout le continent, Ifriqiya, et qui fut pionnière de l'abolition de l'esclavage !
Brahim Oueslati


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