Le nombre de politiciens qui se trouvent actuellement en prison interroge sur l'intérêt de faire de la politique en Tunisie. Le dernier en date est l'ancien ministre de l'Agriculture, Samir Taïeb. Indépendamment des circonstances de l'affaire dans laquelle il serait impliqué et indépendamment du bilan, positif ou négatif, de son passage à la tête de ce département, il faut bien avouer que c'est son activisme politique qui l'a conduit à ce poste de responsabilité et à tout ce qui en a découlé plus tard. Compte tenu de toutes les mésaventures liées à la simple pratique de la politique, il y a de quoi en dégouter plus d'un. D'ailleurs, les principales figures politiques qui ont meublé les plateaux et les meetings durant les dernières années sont aux abonnés absents et ont abandonné toute implication dans la chose publique, hormis quelques-uns qui s'aventurent encore à publier des posts sur les réseaux sociaux.
Le cas le plus emblématique pour illustrer les dangers de la pratique de la politique en Tunisie est sans doute celui de Ayachi Zammel. L'ancien député fait face à des peines de prison cumulées de près de 35 ans simplement pour avoir tenté sa chance à l'élection présidentielle du 6 octobre 2024. Les accusations sont toujours les mêmes : soupçons de falsification de parrainages. La justice tunisienne s'est mobilisée en un temps record pour instruire des affaires dans plusieurs gouvernorats de Tunisie, à tel point que les avocats de Ayachi Zammel ne savaient plus où donner de la tête. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres dans tout le pays en l'absence d'informations basiques reliées parfois à l'endroit où se trouve leur client. La famille de l'ancien député a également payé le prix de son engagement puisque ses frères ont été interrogés à plusieurs reprises, mais pas seulement. La collaboratrice de Ayachi Zammel et trésorière du mouvement Azimoun dont il est l'instigateur, Siwar Bargaoui, se retrouve également en prison, accusée d'être l'architecte de cette supposée fraude aux parrainages. Il s'agit d'une femme issue du quartier populaire de Sidi Hassine et qui n'a pas encore trente ans. Pourtant, Ayachi Zammel avait entamé sa campagne dans un esprit d'apaisement appelant à « tourner la page, mais sans déchirer le livre ». Cela ne l'a pas sauvé aux yeux du pouvoir. Ayachi Zammel est détenu depuis le 2 septembre 2024.
Abir Moussi, présidente du parti destourien libre, est aussi un exemple du danger de la pratique politique dans notre pays. Il est vrai que son style est loin de faire l'unanimité. Sa pratique de la politique alliant l'étude minutieuse des dossiers et les happenings spectaculaires a laissé perplexe entre ceux qui adorent et ceux qui considèrent que ce n'est pas la bonne manière de faire de la politique. Mais tout cela est relégué au second plan à partir du moment où Abir Moussi a été placée en détention. Critique virulente du pouvoir en place, l'avocate s'est retrouvée placée en détention pour une histoire de décharge sur un document administratif à la présidence de la République. Depuis, la machine s'est emballée et diverses accusations se sont accumulées, dont les plaintes déposées par l'instance chargée des élections. Par la suite, c'est un marathon judiciaire qui a débuté et le comité de défense de Abir Moussi reste mobilisé pour faire face à des accusations qu'ils découvrent parfois par hasard. Abir Moussi est détenue depuis le 4 octobre 2023.
La première affaire concernant directement des hommes politiques est celle connue sous le nom de l'affaire du complot contre la sûreté de l'Etat. La liste des détenus pour complot comporte les noms de Khayam Turki, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Jaouhar Ben Mbarek, Issam Chebbi, Abdelhamid Jelassi et Kamel Letaïef. Ils ont été emprisonnés à la suite de mandats de dépôt émis le 25 février 2023. La liste des accusés comprend, également, Lazhar Akremi et Chayma Issa. Ces derniers ont été arrêtés dans le cadre de la même affaire puis laissés en liberté à la date du 13 juillet 2023. Hormis Kamel Letaïef, tous sont des politiciens exerçant pour la plupart au sein de partis politiques établis. Ils n'ont pas tous été arrêtés en même temps, mais à seulement quelques jours ou semaines d'écart. L'affaire en elle-même est frappée du sceau du silence puisqu'une décision du juge d'instruction interdit son traitement médiatique. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'hommes politiques en vue qui écumaient les plateaux médiatiques et critiquaient sévèrement le pouvoir en place. Aujourd'hui, ils croupissent en prison sans aucune visibilité sur l'instruction. Ils ont tous largement dépassé la période de détention légale de quatorze mois sans que rien n'ait changé. Khayam Turki, le premier à avoir été arrêté dans le cadre de cette affaire, est détenu depuis le 11 février 2023.
Plusieurs autres politiciens sont actuellement emprisonnés à l'instar des dirigeants d'Ennahdha, Rached Ghnnouchi, Ali Larayedh, Noureddine Bhiri, Sayyed Ferjani, Sahbi Atig et Ajmi Lourimi entre autres. Il y a également Mehdi Ben Gharbia, Riadh Mouakher, Riad Ben Fadhel, Mohamed Frikha, Lotfi Mraïhi et d'autres encore. Mais cela n'a pas dissuadé le parti Attayar, par exemple, de continuer de s'opposer au régime actuel. Son secrétaire général, Nabil Hajji, et ses membres, à l'instar de Hichem Ajbouni, continuent de faire de la politique dans le sens de l'analyse rigoureuse des politiques publiques et la défense des droits et des libertés le tout sans jamais tomber dans l'injure ou l'insulte, contrairement à leurs adversaires. C'est sûr, faire de la politique en Tunisie est dangereux, mais il y en a qui en font encore. Heureusement.